Le ‘spirituel’ a le vent en poupe. Le mot semble moins sectaire que celui de ‘religion’ qui connote, pour beaucoup d’Occidentaux, le moralisme, le cléricalisme, bref les perversions et les vicissitudes des Églises. Du coup, on recherche des spiritualités détachées de toute religion, – ce qui justifie la vogue des pratiques de méditation venues d’Extrême Orient, – et, même des spiritualités sans Dieu rattachées à quelque philosophie antique ou contemporaine.
Je n’épiloguerai pas sur la dimension d’altérité propre à toute spiritualité, qu’elle soit religieuse, parareligieuse ou athée. Si l’on veut bien comprendre que la spiritualité, comme tout ce qui relève de l’esprit, unit ce qui est épart, fait le lien entre des éléments différents dont aucun ne peut s’identifier à l’ensemble, voire, lorsqu’il s’agit d’êtres humains (par exemple l’esprit d’équipe), des êtres foncièrement différents.
J’épingle ici une manifestation particulière de la spiritualité dans le monde d’aujourd’hui. Fin août 2024, le journal Le Figaro (Paris) développait dans un petit article l’étonnement d’un journaliste devant l’affluence des jeunes dans les abbayes, les couvents et autres lieux d’accueil pour y faire des ‘retraites spirituelles’. « ‘Tous les sites d'accueil sont pleins !’: les retraites spirituelles ont le vent en poupe chez les jeunes catholiques», écrit avec gourmandise le journaliste. Et de citer plusieurs lieux d’accueil qui ne désemplissent pas durant l’été. La plateforme Internet ritrit, spécialisée dans les retraites spirituelles, a connu cette année une fréquentation trois fois supérieure à celle de l’an passé. Les Internautes intéressés se recrutent majoritairement par des moins de 39 ans.
Je ne discute pas ici de l’engouement constaté par les observateurs de ce phénomène, engouement qui peut d’ailleurs s’expliquer par de multiples causes qui n’ont rien à voir avec la spiritualité : recherche d’identité face à un Islam très vivant chez les jeunes, besoin de calme dans une société urbaine bouillonnante ou encore de repos après une année stressante d’étude ou de travail.
«Restez aux champs, petits et grands, loin de la ville aux joies futiles», disait un cantique chanté par mon arrière-grand’mère.
Je discute des motivations exprimées par les retraitants. La plupart de ces motivations sont bien éloignées de la spiritualité. J’épingle les trois qui sont le plus souvent évoquées.
1°) «Je peux réfléchir sur moi-même». L’introspection n’ouvre pas sur l’expérience spirituelle ; elle ne fait que renvoyer l’image que mon environnement attend de moi. Réfléchir sur soi-même sacrifie au mythe de l’identité perdue que l’on pense retrouver dans ces moments et dans ces lieux de ‘retrait’ où l’on se coupe provisoirement de son entourage ; en oubliant que l’entourage m’accompagne dans ma retraite, comme la conscience accompagnait Caïn jusque dans la tombe.
2°) «Je viens me ressourcer». L’illusion est de croire que l’on peut capitaliser, ou au moins stocker du spirituel à la manière d’une réserve d’eau ou de grains dans laquelle on puisera tout au long de l’année. La même illusion préside aux ‘bonnes résolutions’ que l’on prend sans jamais les appliquer car elles sont prises dans des conditions qui ne sont pas celles de la vie courante.
3°) «Je transforme la méditation en prière», ou, inversement «je transforme ma prière en méditation». Ici encore, l’illusion est complète; car la relation à l’autre (la nature, la divinité, Jésus, ou n’importe-qui) ne dépend pas des efforts personnels, pas même d’exercices, fussent-ils qualifiés de spirituels. Le ressenti dans la méditation, dont l’archétype fut décrit par Romain Rolland sous l’appellation ‘conscience océanique’ (et que l’on retrouve chez le philosophe André Comte-Sponville dans son expérience de spiritualité sans Dieu), ne garantit aucunement l’altérité qui est la pierre de touche de toute spiritualité.
Finalement, vaine est la prétention de ces retraitants qui cherchent à «ajouter de la spiritualité dans ma vie», car la spiritualité n’est pas extérieure à la vie ; elle en est l’une des dimensions, essentielle pour l’être humain, dimension que l’on ressent quand on a au cœur le désir de vivre le ‘présent’ comme un cadeau, et le ‘prochain’ comme celle ou celui dont on s’approche sans jamais le posséder.