Un monde en dé-globalisation

Les temps ne sont plus à la globalisation triomphante. La Suisse devra s’y faire, et peut même en tirer avantage face au courant de dé-globalisation qui se renforce avec la reconfiguration de l’économie mondiale boostée par la guerre en Ukraine.

Voici plusieurs années déjà que le nationalisme économique se fait entendre dans tous les pays incapables de surfer sur la mondialisation. Ce courant se ramifie.

Le monde économique se fracture sous nos yeux en blocs dont le soutiens plus ou moins explicite à la Russie dans la présente guerre portée en Ukraine a souligné les arêtes. La Chine, l’Inde, le Moyen-Orient, plusieurs pays d’Afrique et d’Amérique latine se sont explicitement désolidarisés de «l’Occident» (Europe, Amérique du Nord, Australie, Nouvelle Zélande).

En fait, la croissance des échanges économiques internationaux a ralenti bien avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les négociations dans le cadre de l’OMC patinent depuis plus longtemps encore; car l’objet des discussions porte non plus sur les tarifs et les taxes mais sur des critères de qualité, d’écologie et de soutenabilité, bref d’un rapport au monde qui est loin d’être universel.

Certes, tant que la Chine n’aura pas un marché intérieur suffisant pour porter sa croissance économique, elle restera le principal moteur des relations économiques internationales pour porter la mondialisation. Mais à plus long terme, la conjonction actuellement prévisible entre la Russie, la Chine, quelques pays du Moyen Orient et de l’Afrique, laisse entrevoir une possible régionalisation (en deux ou trois zones) de la mondialisation actuelle.

Le roi dollar...

L’hégémonie du dollar demeurera tant que les armes de l’Oncle Sam continueront à se vendre d’une manière plus ou moins forcée. Une réforme du Système monétaire international appuyée sur les Droits de tirage spéciaux gérés par le FMI attendra.

Cette nouvelle configuration monétaire mondiale serait pourtant la bienvenue; renouant avec la proposition de Keynes lors des discussions fondatrices du FMI en 1948, elle présenterait un double avantage: en finir avec l’hégémonie de plus en plus insupportable du dollar (instrument d’exploitation de la richesse mondiale par les USA, et surtout inadéquation de la politique monétaire américaine aux besoins multiformes des relations économiques internationales actuelles). Second avantage: stabiliser un monde monétaire multipolaire.

Cette réforme s’imposera lorsque la Chine et ses alliés feront basculer le centre de gravité économique et monétaire de la planète. Cette réforme permettra d’abord une meilleure adéquation des échanges marchands internationaux avec l’émergence des nouvelles puissances économiques, notamment celle de la Chine, ensuite une adaptation aux nouveaux modes de paiements électroniques, les monnaies digitales de banques centrale (MDBC), dont la Chine est, ici encore, pionnière, et dont les normes ont toutes les chances de s’imposer.

Les MDBC permettent en effet des paiements instantanés et bon-marché (même en l’absence de compte bancaire) sans présenter l’inconvénient de la volatilité des crypto-monnaies privées; la contrepartie en est qu’ils (les MDBC) permettent une énorme concentration des données avec le danger d’omnipotence totalitaire.

La Suisse devra compter avec les défis anthropologiques, technologiques, politiques et institutionnels de cette nouvelle donne économique et monétaire. Le mouvement de régionalisation de l’économie mondiale qui s’esquisse ne m’apparaît pas être la catastrophe annoncée par les prophètes de la dé-globalisation. De cette multipolarisation des monnaies et des échanges marchands, la compétence helvétique –si elle joue avec intelligence de sa neutralité– peut tirer un énorme avantage.

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