Certaines traditions sont très anciennes, d’autres plus récentes. Aucune, même les plus vénérables, ne méritent a priori le respect. Car ce n’est qu’aux vues de leur fécondité actuelle, et non pas des bienfaits passés, fussent-ils avérés, qu’elles attestent la nécessité d’être conservées. C’est ainsi qu’en portent témoignage les récentes diatribes autour de la fête de Noël, folklore inoffensif pour les uns, référence centrale pour les autres, qu’il convient – ou non – de préserver.
Répond clairement à cette question, dès le XIIe siècle, le philosophe théologien Pierre Abélard. Il fit inscrire dans les constitutions de la congrégation du Paraclet, dont l’illustre Héloïse était devenue la mère prieure, cette phrase qui répond parfaitement à la question posée :
«On ne fera rien parce que c’est la coutume, on fera tout parce que c’est la raison.»
Certes, on peut discuter à l’infini sur cette raison ici invoquée, car la raison peut – les écrits du marquis de Sade en témoignent – justifier n’importe quoi. On trouve toujours une bonne raison pour justifier ses propres actions, même les plus perverses.
Ces considérations me conduisent à relativiser les propos prononcés par les représentants des Églises de Fribourg devant le refus des organisateurs du prochain Forum des métiers (février 2025) de laisser une place aux susdites Églises. Sont invoquées des questions d’espace disponible et «d’adéquation à l’objectif de la manifestation» (Agence catholique suisse d’information – cath.ch du 21 novembre 2024). D’après cette même source d’information : «Du côté des Églises on regrette de voir ainsi disparaître une tradition ancrée depuis plus de dix ans.»
Dans la logique de mon premier paragraphe, cette tradition eût-elle été ancrée depuis plus de cent ans, cela ne suffirait pas à la considérer comme un acquis définitif capable de traverser les siècles. La véritable question posée derrière le prétexte de manque d’espace, est la suivante: les organes de fonctionnement des Églises relèvent-il d’un ‘métier’? La réponse n’a rien d’évidente puisqu’elle dépend du point de vue de chaque observateur. Un sociologue répondrait volontiers oui à cette question, considérant les pasteurs, prêtres et agents pastoraux comme des «administrateurs des biens de salut». Cette vision fonctionnaliste a certes pour elle une certaine cohérence (que les philosophes appellerait matérialiste) qui conduit à considérer les représentants des Églises comme des fonctionnaires d’un service administratif parmi d’autres. Ces services administratifs sont servis par des métiers qui ne sont pas a priori différents des autres. À ce titre rien ne justifie l’exclusion des Églises du Forum des métiers.
Cette approche n’est certainement pas celle des Églises. Et c’est là le paradoxe. Pasteurs, prêtres et agents pastoraux ne sont pas des fonctionnaires ‘comme les autres’, serviteurs de services administratifs. Même si une part de leur travail est de type administratif – et même si certaines et certains se conduisent comme la plupart des fonctionnaires, je peux leur reprocher – leur métier baigne dans des charismes spécifiques.
C’est d’ailleurs ce qui a conduit après la dernière guerre en France l’Église catholique (mais pas les Églises protestantes) à refuser d’intégrer le clergé dans le système de Sécurité sociale des salariés ; car, prétendait les instances dirigeantes de cette Église, les prêtres ne sont pas les salariés de l’évêque. Comme le constatait voici plus d’un siècle le sociologue Max Weber : ceux et celle qui prétendent n’agir que sous l’inspiration de leur charisme sont «totalement étranger à l’économie».
Un pasteur, un artiste, un chef charismatique, font-ils des métiers comme les autres ?
La réponse dépend de l’idéologie des organisateurs du Forum des métiers.