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Ukraine et Russie: du déni à la réalité

Au matin du 24 février 2022, le président Poutine annonce l’ouverture des hostilités contre l’Ukraine (pardon, «des mesures de protection pour les populations»). Dans les minutes qui suivent les missiles de croisière prennent la direction des villes du pays.
Surprise dans les médias européens.

Bon, le président Biden annonçait l’invasion depuis des semaines («mais vous savez les Américains, l’Irak…»). Les télévisions, les médias et Internet montraient déjà des photos de blindés, de lance-roquettes, d’avions, de camions, on annonçait même l’arrivée d’hôpitaux de campagne et de réserves de sang, les préparatifs classiques d’une opération d’envergure («mais vous savez, Poutine, le bluff…, il ne le fera jamais...»)

Pourtant question de dire, Poutine avait dit. Dès le 17 décembre 2021, le ministère russe des Affaires étrangère diffusait un texte qui était un ultimatum à «prendre au sérieux… [au risque de] faire face à une alternative militaro-technique». Le militaro-technique était explicité par une salve de missiles hypersoniques Zircon lancée le 24 décembre. Ce sont des sortes de missiles de croisière très rapides qui atteignent de hautes altitudes et peuvent ensuite se diriger n’importe où avec une haute précision. Ils constituent un danger mortel pour les porte-avions américains. La Chine et même la Corée du Nord s’en équipent.

La situation est très claire, où bien les USA et les pays de l’OTAN acceptent d’entrer en matière à propos de l’interdiction d’étendre le traité de l’Atlantique à l’Ukraine et garantissent une sorte de glacis à l’Ouest de la Russie ou bien la Russie choisira son «alternative militaro-technique». Dans son allocution du 24 février 2022, Poutine annonçant le franchissement des frontières de l’Ukraine avertissait que toute tentative de s’y opposer exposaient les pays de l’OTAN à des mesures exceptionnelles «dépassant toutes celles qui avaient existé». Une allusion aux armes atomiques récentes de la Russie dotées des puissances dépassant les 100 mégatonnes. Donc rien moins qu’une guerre atomique!

La longue lettre de Poutine annonçant ses intentions de réunifier la Russie et l’Ukraine, et niant l’identité nationale de l’Ukraine, était sur la table de toutes les rédactions européennes depuis le mois de novembre. Et bien entendu dans les ministères des Affaires étrangères de tous les pays. Qui l’a prise au sérieux? «Il est fou», disait-on dans les rédactions. «Il a perdu le contact avec la réalité», modérait-on dans les chancelleries.

Eh, bien, le 25 février, c’est le monde entier qui est au contact avec le réel. Fou peut-être, le président de la Russie, mais son armée n’est pas un fantasme. Les explosions, les morts, les destructions, la terreur des populations ne sont plus des menaces mais d’atroces et irréparables souffrances.

Surprise? Poutine a toujours tenu parole et réalisé ses paroles: en Tchétchénie, en Géorgie, en Abkhazie, en Crimée, dans le Donbass. Alors chez qui se trouve le déni de réalité? Au Kremlin ou dans les capitales européennes et anglo-saxonnes?

Munich en 1938 face à Hitler. Munich 2022 face à Poutine. Même situation, même attitude.

Est-ce l’histoire qui se répète ou les hommes qui, générations après générations, n’osent pas ouvrir les yeux?

Jean-Blaise Fellay sj

Auteur:

Né en 1941, entré chez les jésuites en 1961, spécialiste de l’Histoire de l’Église, était engagé comme directeur spirituel au Séminaire diocésain du Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg et au Séminaire diocésain de Sion. Le Père Fellay a été rédacteur en chef de la revue culturelle choisir, directeur du centre interdiocésain à Fribourg, professeur à l'Institut Philanthropos et responsable du programme de formation du domaine de Notre-Dame de la Route à Villars-sur-Glâne.

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