Taxer les riches...

Au moment où, dans la France voisine, on débat de la «taxe Zucman» qui propose un prélèvement de 2% annuel sur les patrimoines de plus de cent millions d’euros (84% des Français semblent y être favorables), un éditorial du Temps, le 18 septembre dernier, éclaire un aspect du problème, celui de l’exil fiscal. Le journal évoque le départ en Italie de Renaud de Planta, au grand dam du Canton de Genève, et l’on pourrait citer bien d’autres exemples, y compris, dans l’autre sens tel celui du chanteur Charles Aznavour qui a profité de l’accueil fiscal bienveillant en terre helvétique, tout en recevant (mais ce n’est pas pour cette raison) la plus haute dignité de la République française (il fut reçu dans l’Ordre de la Légion d’honneur).

L’auteur de l’éditorial du Temps argumente en faveur d’une certaine modération dans les prélèvements opérés sur les plus fortunés: «Une évidence doit rester à l’esprit du citoyen suisse à l’heure de voter sur ces questions brûlantes. Les ultra-riches nourrissent l’État social, comme en témoignent les chiffres à Genève ou dans le canton de Vaud. Traquer les milliardaires ou dissuader l’entrepreneuriat risque donc de produire l’effet inverse de ce qui est recherché.»

J’ajoute deux sous dans cette musique, en dénonçant le rapprochement qui consiste à mettre dans le même sac milliardaires et entrepreneurs. Il semble bien que la  Suisse romande ait l’œil suffisamment aiguisé concernant cette distinction puisque, selon un sondage récent, les trois quarts des opinants reconnaissent «‘l’importance stratégique’ des multinationales pour la prospérité de la région.» Il est vrai que quelques cent-vingt mille emplois directs et indirects sont soutenus par les firmes multinationales dans le Canton de Genève. Ces trois quarts d’opinions favorables aux multinationales implantées en Suisse romande sont évidemment loin des 84% des Français favorables à la taxe Zucman. Cela s’explique aisément. Cette dernière – et c’est sur ce point que se focalise les oppositions – porte aussi bien sur la propriété industrielle, financière que toutes les autres formes de patrimoine; sans distinguer celui qui est de pure jouissance et celui qui a un effet productif. 

Certes, les rentiers qui viennent chercher en Suisse une fiscalité plus douce que celle qu’ils subissent dans leur pays d’origine peuvent, par les prélèvements helvétiques, contribuer aux charges publiques du pays d’accueil. Mais cela n’a qu’un effet indirect sur le bien-être et l’économie. En revanche, les investissements directs dans les entreprises implantées en Suisse provoquent un effet favorable sur la compétitivité du pays. Et c’est pourquoi il me semble impératif d’affiner les prélèvements sur les plus riches de manière à sauvegarder au mieux la compétitivité de notre pays.

L’objection que j’attends est le suivant: le concept de compétitivité est particulièrement vague. La compétitivité est comme la girafe évoquée par ma grand’mère: 

«Je ne sais pas la dessiner, disait-elle, mais, lorsque je la vois, je sais bien la reconnaître.» 

Ses effets sont patents en termes de parts de marché, de niveau de vie, de pouvoir économique et d’autorité internationale. S’il est difficile de la dessiner, c’est qu’elle est le fruit d’une alchimie où les investissements, le génie stratégique, le sens de l’organisation, le temps de travail, sa répartition, le territoire avec sa culture et ses institutions, sans parler bien sûr de la fiscalité, jouent chacun leur rôle selon des configurations plus ou moins fructueuses. 

Si l’on veut une taxation des plus riches qui sauvegarde la compétitivité, il convient d’éviter l’erreur commise par la politique française depuis une dizaine d’année. Sous couvert de faire une «politique de l’offre» favorable aux investissements et aux entreprises – et donc à la compétitivité – la politique française n’a en fait que favoriser les épargnants. 90% de l’effort public est allé dans la poche des épargnants. C’était oublier que, contrairement à un poncif souvent ressassé, l’épargne et l’investissement répondent à des logiques différentes.

À son propos:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Membre du conseil de rédaction de la revue choisir  jusqu'à sa fermeture fin 2022, il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013, et sur celui de la Province d'Europe centrale en français depuis sa création en 2021. Conseiller de la rédaction de la revue Études (Paris), le Père Perrot sj rédige deux blogs hebdomadaires: Deux doigts au-dessus du sol et Coup d’épingle. Cet été 2024, il quitte Lyon pour rejoindre Paris

Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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