J’aime me promener dans les cimetières. Non pas à cause d’une tendance à la nécrophilie, mais parce que les cimetières sont des lieux de paix où la réflexion et la méditation peuvent se déployer à l’abri du bruit de la ville et des voisins. Certes, les parcs publics, à la frondaison souvent plus variée et aux dessins mieux dessinés que ceux des cimetières, peuvent répondre aux mêmes désirs. Mais ils ont parfois l’inconvénient d’être encombrés par ces modestes pollueurs de jardin que sont les joggeurs. Ces locomotives humaines qui expectorent leurs poumons en suant et soufflant troublent la méditation des paisibles promeneurs.
À en croire un journal du matin, il est une autre catégorie de passants qui fréquentent les cimetières. Je ne parle pas des curieux qui recherchent au cimetière de Passy la tombe de Chopin, dans celui de Montparnasse la tombe de Serge Gainsbourg, dans celui de Vaugirard celle du cardinal de Lubac ou dans le cimetière Saint Vincent sur la butte Montmartre celui du spirite Sédir.
La nouvelle catégorie de ces êtres qui hantent les cimetières ne sont pas des fantômes mais des visiteurs à la recherche des monuments funéraires les plus originaux. Un certain Vinícius Barros, qui a créé une association pour promouvoir la conservation de ces édicules, leur a trouvé un nom ; ce sont des ‘taphotouristes’ (du grec tàphos, la sépulture). Le plus ancien cimetière de Genève, celui dit des Rois, ou, à Paris, celui du Père Lachaise (si l’on en croit le nombre de visiteurs, estimé à trois millions et demi chaque année) semblent être parmi les hauts-lieux de ce type de tourisme.
J’épingle ce courant culturel car il me semble représentatif d’une large tendance de nos sociétés à contourner la mort, pour éviter de l’affronter, à tout faire pour donner l’impression qu’elle n’existe pas. (Ce qui n’est pas la meilleure façon de vivre pleinement sa vie.) Le taphotourisme ne consiste pas à quelque forme que ce soit de nécromancie, encore moins de spiritisme. Il est facile d’en convenir et d’imaginer que l’initiative de Vinícius Barros et le relatif succès de l’association qu’il a initiée doit beaucoup à la peur de la mort. L’esthétique des monuments funéraires est un moyen parmi beaucoup d’autre – bien que ça ne me semble pas être le meilleur – d’exorciser la gêne, souvent mêlé de culpabilité, devant les disparus.