• Manifestation "Extinction Rebellion" à Lausanne, bloquant le pont Bessières, le 20 septembre 2019 @ Creative Commons/2.0 Generic/LLE Photography

Subventionner les fauteurs d’actes contraires à l’ordre public

Un blog sur le site de la Tribune de Genève dénonce la subvention de vingt mille francs accordée à l’association Extinction Rebellion, pour une campagne d’affichage lancée le 30 mai dernier. Contre l’argument de la liberté d’expression, il s’agit, pour l’auteur de ce blog, d’épingler l’utilisation de l’argent public au profit d’un groupe «qui se revendique hors cadre institutionnel et légal». Pour la bonne cause du climat, Extinction Rebellion «revendique la désobéissance civile pour sauver l’humanité de l’extinction». Et le blog d’évoquer «l’obstruction de parkings à Rive, en 2020, jour du Marché, l’entrée fracassante dans des banques, l’occupation de ponts pour bloquer la circulation…»

Comme plusieurs associations de ce type, Extinction Rebellion place ses manifestations sous le signe de la non-violence. Ainsi, à Lyon comme dans quelques autres grandes villes de France, un groupe «citoyen» milite pour faire supprimer la publicité de l’espace public. Les moyens sont parfois légaux (appel aux élus, manifestations pacifiques), parfois hors de la légalité, «en menant des actions de désobéissance civile non-violente» précise leur site. Cette dernière voie militante consiste à retirer les publicités de leur panneau, «sans violence ni dégradation autre que l’affiche publicitaire elle-même». C’est mieux que de déchirer l’affiche en n’en laissant que des lambeaux, acte dont l’effet artistique n’est d’ailleurs pas prouvé.

Bien que, jusqu’à preuve du contraire, cette initiative «citoyenne» n’a pas reçu de subventions de la part des municipalités concernées, elle ne pose pas moins la même question d’éthique publique que la subvention de Genève à l’affichage d’Extinction Rebellion. La cause morale (la sauvegarde du climat) défendue par ces associations est sans aucun doute légitime. Les citoyens antipublicitaires cités plus haut le précisent sur leur site qui vous explique tous les inconvénients écologiques de la publicité : «La publicité apparaît comme un puissant accélérateur des grands maux de la société. Le dérèglement climatique, l'érosion de la biodiversité, les inégalités, la santé et même le pouvoir d'achat sont directement impactés par la publicité. […] Elle est énergivore, sexiste, agressive, inesthétique...»

Par ailleurs, la question n’est pas dans la subvention. Nombreuses sont les associations ou même les entreprises commerciales qui, par un biais ou par un autre, sont aidée par des organismes publics. Certaines instances judiciaires françaises sont même allées jusqu’à considérer que le principe de fraternité blanchissait un ressortissant ayant aidé des migrants illégaux. Pour Extinction Rebellion comme pour les militants antipublicitaires, il s’agit d’une cause légitime à portée universelle.

La légitimité de la cause est indiscutable. Permet-elle de s’affranchir des contraintes légales? Ma réponse est «oui», mais à une seule condition: que les auteurs de l’illégalité acceptent de subir les sanctions prévues par la loi. C’est pourquoi je souscris à l’indignation de l’auteur du blog paru dans La Tribune. La légitimité d’une cause ne saurait supprimer la nécessité de la loi. C’est ce que Socrate explique à son ami Criton qui lui suggérait de s’enfuir pour échapper à la mort, sanction infligée par une loi illégitime. J’ajoute que l’ordre public dont la loi est le garant ne saurait tolérer l’obstruction de parkings les jours du Marché, l’entrée fracassante dans des banques ou l’occupation de ponts pour bloquer la circulation, toutes actions qui ne peuvent, d’ailleurs, que déconsidérer la cause que les initiateurs prétendent servir.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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