À trois reprises Jésus a parlé de sa Passion à ses disciples. La première fois, Pierre s’était rebiffé; la deuxième, les disciples ont fait la sourde oreille et se sont disputés pour une question de préséance entre eux; cette fois-ci, deux d’entre eux, ceux de la première heure, Jacques et Jean, ne manifestent aucun intérêt. Plus que les événements dramatiques qui se profilent, c’est l’exercice du pouvoir qui les préoccupe. Prenant les devants sur leurs collègues ils insistent pour s’assurer les meilleures places dans la gloire, des postes d’honneur et de responsabilité.
Les autres disciples sont outrés par la prétention de leurs deux collègues. Sont-ils simplement scandalisés? Plutôt jaloux de se faire devancer laissent entendre les Évangiles. Jésus les ramène à la réalité. Pour l’instant il ne s’agit pas de course aux honneurs, mais de se préparer à assumer ce qui va se passer. Qu’ils ne confondent pas la suite du Christ avec leur promotion personnelle. La vraie question qui doit les préoccuper est de savoir s’ils sont disposés à partager sa Passion, en buvant à la même coupe et en plongeant avec lui dans la mort.
Le carriérisme des clercs se profile donc déjà dans le premier groupe des disciples du Christ. Cautionnée parfois par une ecclésiologie de mauvais aloi, cette peste, comme l’appelle le pape François, va traverser toute l’histoire de l’Église. Si ces hommes se réclament du Christ, qu’ils ne prennent pas modèle sur la société civile en jouant les petits chefs qui font peser sur les autres le joug de leur autorité. Parmi eux pas d’Éminence, d’Excellence, de Monseigneur, de Révérend et autres titres mondains, signes d’une caste supérieure. Le peuple de Dieu «veut des pasteurs et pas des fonctionnaires ou des clercs d’État». Ils ont donc mieux à faire que de se bousculer pour exercer le pouvoir. Qu’ils se considèrent comme des serviteurs, jusqu’à se mettre au rang des esclaves leur dit Jésus. Reprenant à son compte l’image du Serviteur souffrant développée par le prophète Isaïe (Is 53,10-11), il se donne lui-même en exemple comme au lavement des pieds: sa vie n’est qu’un service au profit de tous indistinctement sans se limiter à une chapelle de bien-pensants.
«Serviteurs mais pas carriéristes» (Mc 10,35-45) – méditation à partir de l’évangile par Pierre Emonet sj pour le dimanche 20 octobre 2024