1 / 2

Saint Canisius: Une figure d’espoir pour l’Église?

Début juin, le Père Pierre Emonet a participé à un colloque international sur Pierre Canisius organisé par l’Université de Fribourg. Jésuite romand, auteur de plusieurs biographies des figures majeures de la Compagnie de Jésus, Pierre Emonet a publié une vie du saint patron de la Province jésuite d’Europe Centrale intitulée «Pierre Canisius – L’infatigable réformateur de l’Église de l’Allemagne (1521-1597)» [1]. 

Le colloque international organisé par les Universités de Fribourg et Innsbruck sous le titre de «Petrus Canisius Heiliger und Kirchenlehrer des Ultramontanismus – Bedeutung und Resonanz.» (Pierre Canisius, saint et docteur de l'Église ultramontain – Signification et résonance) marquait le centenaire de la canonisation du jésuite et de sa proclamation comme docteur de l’Église, le 21 mai 1925. L’intervention du Père Emonet traitait de la vie spirituelle du saint.

Pierre Canisius incarne le type parfait du jésuite ordinaire. Premier Provincial de la Compagnie de Jésus en Allemagne, recteur d’université, administrateur apostolique du diocèse de Vienne, Pierre voyage, écrit, enseigne, reçoit, conseille, confesse, visite les prisonniers et les malades, cherche des fonds pour ses fondations. Perpétuellement en route de Munich à Prague, de Vienne à Strasbourg, il parcourt 100.000 kms et ne fonde pas moins de 18 collèges. Écrivain fécond, il est le premier jésuite à signer des livres. Ses catéchismes, maintes fois réédités, sont restés en usage jusqu’au début du 20ème siècle. Prédicateur attitré des cours de Vienne, d’Innsbruck et de Munich, les chaires les plus prestigieuses d’Allemagne se le disputent. Conseiller théologique très recherché, l’Empereur, le pape, des rois, des princes, des nonces et des cardinaux, des supérieurs d’ordres le consultent. Son influence sur la politique religieuse de l’Empire est si décisive qu’elle a durablement marqué le catholicisme allemand. Un historien a pu écrire à son sujet: «En aucune partie d’Europe où elle s’établit, la Compagnie ne doit son succès et son identité aussi manifestement à un seul individu, qu’elle ne le doit à Canisius pour l’empire d’Allemagne. Nulle part en Europe, la Compagnie ne jouera si précocement un rôle capital dans la définition du caractère du catholicisme moderne: c’est essentiellement le mérite de Canisius.» [2]

Père Emonet sj, quelle est l'importance de Pierre Canisius pour la Province, et plus particulièrement pour la Suisse et la ville de Fribourg ?

«Ayant renoncé à sa charge de Provincial pour se consacrer totalement à la réfutation des Centuries de Magdebourg, une mission confiée par le pape, Canisius s’est trouvé engagé malgré lui sur le terrain historique, qui ne lui était pas familier. Rédigeant lentement, révisant sans cesse ses textes avec une minutie excessive, en prise avec ses scrupules, Pierre épuise ses assistants, l’imprimeur, et sa communauté. La situation devient si tendue, que le Provincial Hoffaeus finit par demander qu’on ne confie pas de travaux théologiques à Canisius qui ne possède pas les qualités intellectuelles pour ce genre de travail. Le Provincial lui reproche aussi de s’adresser directement au Père Général, et le soupçonne de manigancer dans son dos pour pouvoir continuer à écrire. Si le P. Général veut que Canisius continue à travailler à son œuvre contre les Centuries, qu’il le change de Province.[3]

Des mesures qu’il ne fut pas nécessaire d’appliquer. Une opportunité se présenta pour éloigner Canisius avec plus d’élégance. En 1580, mobilisé à Rome pour la Congrégation générale qui devait élire le successeur du Père Général, le Provincial Hoffaeus désigna Canisius pour le remplacer et négocier la fondation du collège de Fribourg. Bonne occasion pour envoyer Pierre en Suisse où il résidera jusqu’à sa mort, en 1597.

À Fribourg, après avoir initié les démarches pour la fondation d’un collège, l’âge et la fatigue avançant, Canisius renonce aux responsabilités. Il se consacre à un apostolat d’autant plus intense que la perspective d’une vie de retraité le culpabilise. Les dimanches et les jours de fêtes il prêche régulièrement dans la collégiale Saint-Nicolas: 320 sermons dont les notes couvrent 12’000 pages. 

L’écriture reste sa passion. Il publie de nombreux ouvrages d’édification populaire, en particulier des vies de saints et deux gros volumes destinés aux prêtres de Fribourg, des commentaires des Évangiles des dimanches et des autres fêtes. Pierre ne prétend pas faire une œuvre scientifique, il cherche plutôt à nourrir la piété de ses lecteurs en les introduisant à la méditation des textes bibliques et à la prière. Le succès est tel que l’évêque de Lausanne ordonnera à tous ses prêtres de se procurer ces volumes et de les étudier.»

Où décelez-vous des signes d’espoir dans la vie et les actions de Pierre Canisius ?

«En 1538, jeunes étudiant de 17 ans à Cologne, Canisius avait écrit en grandes majuscules sur la page de garde de son premier cahier: PERSEVERA. Tout un programme qui annonçait déjà la rigueur et la persévérance avec lesquelles il a fait face à une vie et un ministère qui ne lui furent pas si facile. Des années plus tard, impliqué dans une situation difficile en Pologne, il écrit à son Supérieur général: «Plus les événements paraîtront difficiles et même désespérés au jugement de ce monde, plus il nous appartiendra d’y faire face parce que nous sommes de la Compagnie de Jésus et que nous devons tout faire pour l’Église en difficulté». Malgré les difficultés, Canisius n’a jamais abandonné sa mission. Il ne croyait pas forcément qu’il verrait des résultats immédiats, mais il croyait en la fécondité du travail bien fait, à long terme. Dans ce sens, persévérer, c’est espérer.»

Cette espérance passe aussi par l’éducation, non ?

«Absolument. Il a fondé 18 collèges, redynamisé des universités, là où l’Église en avait désespérément besoin. Il a compris que la Réforme protestante avait gagné du terrain à cause du manque de formation du peuple et de la corruption du clergé. Son catéchisme, utilisé jusqu’au 20ème siècle, est une réponse directe à cette lacune. Une vraie œuvre de foi, mais aussi d’espérance dans la capacité de transformation par l’instruction.»

On dit aussi qu’il avait une certaine manière de dialoguer, malgré sa fermeté doctrinale. Peut-on parler de diplomatie ?

«Canisius n’était pas un homme de compromis facile, mais il était réaliste et profondément spirituel. Il refusait la violence verbale, contrairement à beaucoup de théologiens de son temps. Dans sa lutte pour sauver la foi en Allemagne, son ambition est prioritairement spirituelle. Il veut surpasser en amour et en modestie ceux qui mettent trop de passion humaine dans leurs écrits. Sans vouloir éteindre la mèche qui fume encore, il était convaincu qu’on ne gagne pas les cœurs en les agressant. C’est pourquoi il s’est distancé des mesures trop radicales des instances romaines envers les Protestants ou les repentis. Plutôt que des excommunications il demande que l’on suive l’exemple du Christ. Ce n’était pas de la diplomatie au sens moderne, mais une charité intelligente.»

Est-ce que ce profil – homme de conviction, de dialogue, de respect – peut encore inspirer aujourd’hui, dans un monde souvent divisé ?

«Sans doute à condition de ne pas idéaliser Canisius. Il était un homme de son temps, tout d’une pièce, parfois dur dans ses jugements. Son attitude intérieure reste un modèle. Il tenait ensemble la fidélité à la foi, le sens pastoral et l’intelligence du contexte. Dans un monde éclaté, on a besoin de figures comme lui, capables d’écouter sans céder, de dialoguer sans renier, de croire encore quand tout semble perdu.»

Pour l’Église d’aujourd’hui, son héritage est-il encore vivant ?

«A condition là encore de bien comprendre ce qu’il a voulu faire. Pour lui, la crise de l’Église n’était pas d’abord doctrinale, mais un problème de formation et de témoignage. Il croyait que l’Église devait redevenir lisible et crédible, notamment par l’éducation, par la clarté dans l’enseignement, et la qualité du ministère pastoral. Une Église qui recommence par la base, sans renoncer à la vérité.»

Vers le livre de Pierre Emonet sj sur saint Pierre Canisius: Pierre Canisius – L’infatigable réformateur de l’Église de l’Allemagne (1521-1597)


[1] Parue aux Éditions Jésuites (Paris/Bruxelles), traduite en allemand et en hollandais.

[2] John W. O’Malley, Les premiers jésuites 1540-1565, Ed. Desclée de Brouwer, Paris 1999, Coll. Christus N. 88, pp. 387-388.

[3] Br., VII, 785.

À son propos:

Pierre Emonet SJ

Né en 1936, entré chez les jésuites en 1976, il se consacre à l'écriture et aux ministères ordinaires de la Compagnie: exercices spirituels dans la vie ou en retraites, accompagnement spirituel, prédication et aide dans le ministère paroissial. De 2013 à 2022, Pierre Emonet a également dirigé la revue culturelle jésuite choisir qui a cessé de paraître fin 2022. Il a publié plusieurs livres, dont notamment trois biographies de jésuites aux éditions Lessius : Ignace de Loyola - Légende et réalitéPierre Favre (1506-1546) - Né pour ne jamais s'arrêter, et récemment Pierre Canisius - L’infatigable réformateur de l’Église d’Allemagne (1521-1597). Il a également publié en 2023, la première biographie en français de Pedro Arrupe sj: «Pedro Arrupe, un réformateur dans la tourmente». Un livre qui lui tenait à cœur –«mon dernier» précise-t-il– tant le Supérieur général de la Compagnie de Jésus du milieu du siècle dernier est pour lui «un modèle de jésuite».

Newsletter

Das Magazin „Jesuiten“ erscheint mit Ausgaben für Deutschland, Österreich und die Schweiz. Bitte wählen Sie Ihre Region aus:

×
- ×