• Logo du Crédit suisse et le Palais fédéral à Berne (2023) © Wikimedia Commons/Hadi

Restaurer l’image en désignant les coupables

Le patron de la banque Julius Baer estime, avec quelques raisons, que l’effondrement récent du Crédit Suisse va ternir l’image de la place financière helvétique. Mais – il ne pouvait pas dire autre chose en tant que représentant d’une institution financière helvétique – ce déficit d’image n’aura qu’un temps, pense-t-il, compte tenu de l’excellence du milieu bancaire suisse. Au moment où le tissu bancaire américain subit les contre-coups du desserrement réglementaire voulu par l’administration Trump conjugué avec la hausse des taux d’intérêt voulue par la FED, plusieurs banques régionales ont été impactées. First Republic Bank vient même, début mai 2023, d’être rachetée par JP Morgan.

Sans surprise cette restauration de l’image de l’institution passe par la désignation d’un coupable. Manière de dire que ce n’est pas le système qui est en cause, mais simplement quelques individus incompétents sinon mal intentionnés. C’était déjà la position du Président américain Joe Biden qui veut, avec un coup de menton à l’appui de cette affirmation martiale, ‘punir les coupables’ pour les faillites des banque BSV et consorts. Dans la même logique de recherche d’un coupable, la Finma, cette instance publique de contrôle des acteurs bancaires, s’interroge publiquement pour savoir si elle va, ou si elle doit, traîner devant les tribunaux les dirigeants du Crédit Suisse qui «portent l’écrasante responsabilité de cette débâcle».

Mais qui dit responsabilité ne dit pas toujours faute punissable par les tribunaux. Car nombreux sont les acteurs qui ont contribué par leurs décisions parfois lointaines, à la catastrophe constatée. Outre la fin du secret bancaire, la chute des secteurs électroniques et l’inflation qui doivent beaucoup aux politiques monétaires et budgétaires suivies, j’épingle les directeurs des banques centrales des USA et de l’Europe qui, en cintre-coup de leur aveuglement antérieur (apparemment inéluctable), ont été contraints à relever brutalement les taux d’intérêt directeurs. J’épingle tout autant les politiciens des pays étrangers qui, depuis les années huitante, ont cédé à la tentation de se décharger de leurs responsabilités budgétaires sur le marché mondial de capitaux.

Certains polémistes viseront les politiciens helvétiques à qui l’on pourrait reprocher de n’avoir pas pris des mesures conservatoires lorsque les premiers symptômes – lointains – sont apparus, ou d’avoir devant l’urgence précipité une solution qui se révèlera peut-être sous-optimale. Mais en attendant, toutes les autorités financières mondiales ont loué la réactivité des responsables helvétiques. Si le mastodonte UBS ainsi créé tangue un jour dans la tourmente financière mondiale, on leur reprochera derechef de n’avoir pas opté pour l’option de nationalisation plus ou moins temporaire.

Outre les professionnels de la banque et les politiciens, on peut également accuser protocoles internes de la banque mal surveillés par la Finma elle-même qui aurait dû – mais l’aurait-elle pu? – agir préventivement. Cette institution de contrôle financier, il est vrai, n’a pas la meilleure presse; selon un récent sondage, elle engendre un fort sentiment de défiance. Mais est-ce suffisant pour la déclarer coupable? Bref, comme pour UBS voici une douzaine d’années, longue est la liste des ‘responsables’ qui ont contribué, peu ou prou, au triste résultat constaté.

Il serait alors tentant de rejeter la faute sur ‘tout le monde’, une façon de dire ‘personne’. En oubliant que la responsabilité est fonction du pouvoir de chaque agent, et, dans la limite de ce pouvoir, elle est complète pour chacun. Reste la question du ‘devoir’, qui seul permet d’incriminer un acteur particulier. Mais le devoir est un objet transitionnel, il campe à l’interface entre la loi dictée par la société et la conscience intime du professionnel. Dans les situations complexes comme celle de la finance mondiale dont le risque est l’ingrédient central, si faute il y a, il sera bien difficile de discerner et de peser celle de chacun.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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