«Faites l’expérience de la réalité virtuelle» proposent des officines d’Escape Game (où une équipe, supposée être enfermée, doit s’échapper en un temps limité). Ce type de ‘réalités’ encombre les boutiques de jeux vidéo. Toutes celles et tous ceux qui s’intéressent aux technologies électroniques ne verront rien à redire à une telle proposition; ils en ont fait l’expérience. De la photo au cinéma, du cinéma à la vidéo sur écran personnel, de l’écran au simili relief, du simili relief à l’hologramme il n’y a qu’un pas que la science-fiction a franchi depuis longtemps, suivie désormais par la technique mise à la disposition des consommateurs.
Il n’en reste pas moins vrai que l’expression ‘réalité virtuelle’ est une contradiction dans les termes.
Si l’on ajoute à cela l’idée d’expérience, le paradoxe est à son comble.
En bon français, ce qui est virtuel n’est pas réel. Le virtuel est une possibilité, au mieux une capacité. Le virtuel n’est qu’en puissance, précise le dictionnaire; il reste dans le domaine du possible. C’est ce qui faisait dire à M. Michel Onfray que l’embryon n’est pas un être humain; car il n’est humain qu’en puissance; c’est-à-dire qu’il est un être humain virtuel, il est capable de devenir un être humain, sans l’être encore. On peut d’ailleurs utiliser un argument semblable pour se dédouaner de toute responsabilité au regard des générations futures qui ne sont que virtuelles.
Le réel, en revanche, ne relève pas d’un futur hypothétique, il est toujours ‘main-tenant’; c’est dire non seulement qu’il est sensible –on peut le toucher, le tenir à la main– mais encore, au sens propre, qu’il tombe sous le sens, il est présent. Ce qui est présent dans l’expérience de la réalité virtuelle, ce sont les images engendrées par le système électronique. Les images, que l’origine en soit palpable (un paysage, un tableau accroché au mur, des ‘choses vues’ dans la vie courante, un accident dont on est le témoin où la victime) ou proposée à nos sens par l’intermédiaire d’une machinerie électronique, peuvent donc, effectivement, faire l’objet d’expérience.
Mais, alertent pédagogues et responsables politiques, ce réel virtuel, pensé à l’origine pour reposer l’esprit des fatigues provoquées par les contradictions de la vie sociale, (pour les enfants, les fatigues propres aux contraintes imposées par la famille et la société au nom de l’éducation), ne conduit-il pas, dans le meilleur des cas, à l’irresponsabilité, dans le pire des cas à vivre dans l’imaginaire, ce qui est un danger pour soi-même et pour son entourage?
Contre Marx qui voyait dans la religion le type même d’un virtuel vecteur de l’aliénation par l’opium du peuple, l’esprit libéral de notre temps y voit l’expression de la liberté individuelle propre à la vie privée qui invente son environnement. Contre le risque d’aliénation qui demeure, la justification en est un peu courte.