Utilisé depuis une trentaine d’année dans le cadre du Bureau international du travail (BIT) à Genève, l’expression ‘salaire décent’ vient d’être repris en septembre dernier par le ministre français de l’économie et des finances.
L’expression ‘salaire décent’ avait déjà été recopiée, voici une vingtaine d’années, dans une encyclique pontificale qui renvoyait l’expression à l’Organisation internationale, le BIT, qui en avait vulgarisé l’usage. L’expression, chacun le reconnaîtra, pèche par son inconsistance. D’autant plus que le qualificatif d’origine française, décent, en passant chez les Anglo-Saxons, a changé de signification.
Dans la langue française, la décence renvoie sinon au bon goût vestimentaire ou comportemental, du moins à une posture admise dans le milieu ambiant. C’est une culture faite d’une certaine harmonie avec l’entourage, un art de ne pas choquer en se soumettant aux codes sociaux. Une posture décente va au-delà de la soumission à la loi et à la morale commune exprimée par les règles de droit; elle plonge ses racines dans une éthique personnelle qui tient compte de la sensibilité d’autrui et côtoie l’esthétique.
Récupérée par la langue anglaise, la décence a perdu ces caractères éthiques et esthétiques pour ne conserver que son côté économique, pour ne pas dire commercial. Économique en puissance simplement, car difficilement traduisible en chiffres. Il s’agit en effet de rechercher l’adéquation entre d’une part la posture de l’employé et de son entreprise, et d’autre part ce qu’attend la société de ses acteurs économiques. Ce qui est visé par le BIT sous l’expression ‘salaire décent’, c’est donc cette sorte de compromis entre ce que peut apporter le salarié et ce que peut lui offrir la société, compte tenu du développement du pays.
C’est là une position intelligente qui refuse d’appliquer la même norme à tous les pays, au risque de créer de forte et injustes distorsions de concurrence.
Ce que le ministre français vise à travers le salaire décent, découle très certainement de cette conception anglo-saxonne. Il ne fait d’ailleurs que reprendre le leitmotiv de tous les chefs d’entreprise, selon lequel
les salaires ne sauraient augmenter davantage que la productivité sous peine de ruiner l’entreprise jusqu’à détruire le travail sur lequel se fonde nécessairement l’entreprise et la survie de la nation.
On est loin de l’idée, venue de la tradition française, que peuvent se faire les salariés sous le qualificatif de ‘décent’: conditions de travail adaptées, salaires valorisants qui permette de faire vivre honnêtement sa famille, et enfin, dernière aspiration mais non la moindre, large autonomie.