Depuis pas mal de temps la question de l’identité de Jésus tracassait ses contemporains. En entendant parler de lui, certains se demandaient s’il ne s’agissait pas d’un célèbre personnage revenu sur terre, Jean-Baptiste, Elie ou un grand prophète. Les disciples eux-mêmes étaient perplexes après l’avoir vu marcher sur l’eau comme un fantôme.
L’occasion de mettre les choses au clair s’est présentée du côté de Césarée, vers les sources du Jourdain, dans un environnement marqué par le culte des dieux guérisseurs. À brûle-pourpoint, Jésus demande à ses disciples pour qui le tiennent-ils. Pris au dépourvu, ils commencent par rapporter les diverses opinions entendues, jusqu’à ce que Pierre prenne la parole au nom de ses compagnons pour affirmer haut et clair que pour eux Jésus est bien le Messie, le Christ, le Sauveur promis par Dieu.
Mais tout se gâte lorsque Jésus leur annonce qu’il va souffrir, que les autorités religieuses vont le rejeter pour finir par l’assassiner. Indignés, les disciples protestent, Pierre en tête. Ils ont une tout autre idée des interventions divines, qui, certes, ne cadre pas avec celle de Jésus. S’ils lui ont fait confiance et se sont décidés à le suivre ce n’est pas en vue de subir un échec majeur. Ils ne souhaitent pas être les disciples d’un personnage marginalisé, persécuté et, finalement, assassiné. Ils attendent un Messie d’une autre trempe, un chef capable de rétablir le royaume de David, de chasser l’occupant romain et de purifier le Temple. L’idée d’un messager divin en faillite est inconcevable. Pierre s’indigne ouvrant la voie au docteur Rieux (cf. La Peste de Camus), à Ivan Karamazov et à tant d’autres qui refusent un Dieu qui accepterait la mort de l’innocent.
En contestant un Messie solidaire de l’homme jusqu’à l’extrême faiblesse de la mort, Pierre se fait le complice de Satan. Au cours des tentations dans le désert, le diable s’était efforcé de gauchir la mission de Jésus en lui proposant un messianisme triomphaliste fondé sur le succès mondain et l’exercice du pouvoir (Mt 4,1-10). La violence de la réaction de Jésus laisse entendre la gravité de l’enjeu: «Tu es un Satan pour moi !» Passe derrière moi, marche à ma suite, deviens le disciple d’un Dieu solidaire de tout homme qui souffre au point de subir la mort injuste de l’innocent.
«Quel Christ suivre» (Mc 8,27-35) – méditation de Pierre Emonet sj pour le 24e dimanche du temps ordinaire.