Le 5 mai dernier, un média helvétique publiait une étonnante décision du Tribunal administratif fédéral (TAF): «Les transports publics bernois devront supprimer quatre panneaux d’affichage dynamique situés en vieille ville de la capitale fédérale.» Étonnante car, dans son arrêt du 21 avril dernier, le TAF reconnaît que ces panneaux sont utiles aux personnes en situation de handicap. Mais «ils constituent une atteinte à la protection du patrimoine». Cette décision conduit à tirer la conclusion suivante, mise en exergue par le journal Le Temps, selon laquelle «à Berne, le patrimoine passe avant le handicap».
L’«identité visuelle» d’une zone inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco est-elle sacrée, au point de lui préférer ceux et celles, parmi les êtres humains, qui ont davantage besoin d’être protégés? Une réponse péremptoire supposerait que l’on mettre sur la table toutes les options techniquement possibles à un coût raisonnable pour concilier à la fois les besoins des personnes les plus fragiles et la sauvegarde du site classé.
S’il ne s’agissait que d’économie générale –par exemple des panneaux publicitaires pour attirer le chaland– l’hésitation ne serait pas permise, donnant pleinement raison au TAF. Le problème moral –puisque je me situe toujours dans cette dimension inhérente à toute situation réelle– vient de l’enjeu humain. Certes, cet enjeu devrait être relativisé si le site qui mérite protection n’était qu’un site touristique que nul n’est dans l’obligation de visiter. S’il s’agissait d’un site inséré dans un contexte urbain incontournable pour qui veut passer d’un quartier à l’autre, la décision du TAF ne pourrait que susciter l’indignation.
Devant de tels problèmes moraux, l’arbitrage ne saurait se déterminer sur la base du seul critère quantitatif, en comparant le nombre d’admirateurs capables de jouir du panorama classé et le nombre de personnes handicapées trouvant une aide dans les panneaux controversés. Car à la différence de l’arithmétique politique qui fait de la majorité, voire de la masse, voire même de la quasi-unanimité, l’ultima-ratio de toute décision, la morale appelle la sollicitude et l’attention portée à celles et à ceux qui sont les plus faibles, fussent-ils en nombre très, très, très limité. Restera alors le problème du «coût raisonnable», qui appelle un discernement fondé sur la prudence politique.