• Christophe Colomb débarqueant en Amérique, Dióscoro Puebla (1862) © Wikimedia Commons/Museo del Prado
  • Ignace de Loyola, le pèlerin @ SJ-Bild
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Quand Basques et Jésuites partent à la conquête du monde

La littérature spirituelle décrivant les débuts de la Compagnie de Jésus insiste beaucoup sur la mystique d’Ignace de Loyola: sa conversion, les expériences de Manrèse, la vision du Cardonner, les vœux de Montmartre…, c’est-à-dire la vie intérieure. Du côté protestant, on y a vu avant tout un instrument de la Contre-Réforme et la réalisation de la Réforme tridentine. On oublie, des deux côtés, de situer ce départ dans le contexte du monde ibérique: la Reconquista de la péninsule ibérique contre la domination musulmane, l’unification de l’Espagne par le mariage d’Isabelle de Castille avec le roi d’Aragon, la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, enfin le tour du monde par l’expédition Magellan, qui illustraient cette dynamique. Ces événements font de Charles-Quint, roi d’Espagne et empereur d’Allemagne, le prince le plus puissant d’Europe et le premier sur l’empire duquel le soleil ne se couche jamais, vu qu’il s’étend sur le Vieux Continent, l’Amérique et l’Asie.

Vers «les fidèles ou les infidèles»

Le premier projet des compagnons d’Ignace, lors des vœux de Montmartre, était le voyage à Jérusalem, sur les traces de François d’Assise. Il s’agissait de la conversion des musulmans. C’est à la suite de l’échec de ce projet qu’ils se mirent à la disposition du pape pour les envoyer n’importe où dans le monde, «chez les fidèles ou les infidèles», là où se manifestait la plus grave urgence pastorale. La réformation luthérienne n’était qu’un des soucis et elle concernait principalement les pays de langue germanique. Vu d’Espagne et du Portugal, l’intérêt se situait d’abord dans les Amériques et l’Asie. Les Portugais avaient patiemment progressé au cours du XVe siècle le long de la côte occidentale d’Afrique pour atteindre enfin, en 1488, l’océan Indien et les Moluques, productrices des épices si recherchées. Il s’agissait de contourner le verrou du Proche-Orient musulman par lequel passaient les routes de la soie et des épices et sur lesquelles Génois et Vénitiens possédaient un monopole en Méditerranée.

Christophe Colomb proposa à la cour d’Espagne d’atteindre le même objectif mais en partant à l’Ouest au travers de l’Atlantique. Il n’y parvint pas car il découvrit l’Amérique entre deux. Ce fut une énorme surprise et un bouleversement culturel majeur: voilà qu’apparaissait un continent dont les sources principales du savoir de l’époque, la Bible et les auteurs grecs et latins, ignoraient tout. C’était aussi un territoire immense ouvert à la prédication évangélique. L’appel d’air s’avéra foudroyant. Les rois du Portugal comme d’Espagne n’imaginaient pas une colonisation sans une évangélisation. Les ordres mendiants, franciscains et dominicains, s’embarquèrent nombreux sur les caravelles qui prenaient la direction de l’Est et de l’Ouest.

C’est au cœur de cet énorme mouvement que naît la Compagnie de Jésus.

 

Un monde partagé entre le Portugal et l’Espagne

Il vaut la peine de rappeler l’origine basque d’Inigo de Loyola, comme il s’appelait à sa naissance. Le bourg de Loyola est situé dans la province du Guipuzcoa, à l’extrémité ouest des Pyrénées, là où elles plongent dans l’Atlantique. C’est une région à la fois montagneuse et maritime. Des ports basques partaient les hardis pêcheurs qui pourchassaient la baleine jusque sur les côtes d’Amérique du Nord. Ils ne s’y installèrent pas, ils se contentaient d’y faire fondre la graisse des baleines pour la mettre en tonneaux.

Cette mer est très dure, la houle y est puissante, il faut des hommes expérimentés pour la dominer. Il n’est donc pas étonnant que ce soit un capitaine Basque, qui ait réussi le premier tour du monde en bateau. Juan Sebastian Elcano, né dans le port de Guetaria, dans le Guipuzcoa, est déjà un marin endurci quand il s’enrôle en 1519 dans l’expédition de Magellan vers les Moluques. Bien que Portugais, Fernand Magellan offre ses services à la cour d’Espagne pour reprendre le projet de Colomb et atteindre les Indes par l’Ouest. Il va rechercher un passage vers le Pacifique en contournant l’Amérique du Sud. Les Espagnols souhaitent préciser la situation du méridien de Tordesillas dans le Pacifique. Le traité de Tordesillas, qui avait partagé le monde entre le Portugal et l’Espagne sous l’autorité du pape Alexandre VI, avait fixé précisément cette limite dans l’Atlantique mais elle n’était pas claire dans le Pacifique du côté des Moluques, or c’était précisément le lieu d’origine des épices les plus prisées.

L’expédition de Magellan trouve le détroit qui porte désormais son nom à l’extrémité de la Terre de feu et parvient dans les eaux indonésiennes. Malheureusement, Fernand de Magellan est tué ensuite dans un combat avec des indigènes sur une île des Philippines. Des cinq bateaux, il n’en reste plus que deux. Avec un équipage réduit, Elcano, capitaine du Victoria, tente, par gain de temps, de rentrer par le Cap de Bonne-Aventure en évitant les établissements portugais. Il parvient, avec des hommes épuisés, à rejoindre l’embouchure du Guadalquivir en Espagne, d’où il était parti. Il peut annoncer sobrement à l’empereur Charles-Quint qu’il a rempli la mission, en ayant achevé le premier tour du monde en bateau, le 6 septembre 1522.

Premier noyau de la Compagnie

Né en 1491, Inigo de Loyola, est de quatre ans le cadet de Juan Elcado. Il vient de quitter Loyola après sa blessure de Pampelune, et entame sa vie de pèlerin à Manrèse au moment où Juan Elcano rentre de son expédition. L’exploit est sur toutes les lèvres. L’Espagne ne rêve que d’exploration et de conquête. Un des frère d’Inigo, par exemple, est parti pour l’Amérique du Sud entamer une épopée de conquistador. Lui-même veut imiter François d’Assise, et convertir le chef des musulmans à Jérusalem. Le voyage à Jérusalem tourne court. De retour à Barcelone, l’Inquisition lui interdit la prédication sans avoir fait les études nécessaires. Finis les projets de mission, il doit se mettre à l’étude du latin pour accéder en 1526 à l’université d’Alcala. C’est l’année où Juan Elcano, reparti vers les Moluques, meurt en haute mer. Inigo, lui, poursuit des études pendant une décennie encore: Alcala, Salamanque, Paris. Une chambre d’étudiants au collège Ste-Barbe devient le premier noyau de la Compagnie de Jésus.

À côté de Pierre Favre, de Laynez, Salmeron, Bobadilla, notre vieil étudiant trouve un membre d’une famille d’ancienne noblesse basque, Francisco de Jasso. Sa mère a hérité d’un manoir en Navarre, le château de Xavier, il portera désormais ce nom. Il étudie depuis quelques années déjà au collège Ste-Barbe quand Inigo s’y installe. Le nouvel arrivé réussit à séduire ses condisciples avec sa foi ardente. Ils passent tous par l’école des Exercices Spirituels. La maîtrise ès Arts obtenue, ils prennent le chemin de Venise, où ils se font ordonner prêtres. La guerre empêche le départ pour la Terre Sainte, ils vont se mettre à la disposition du pape. Le roi du Portugal réclame des missionnaires pour l’Inde. François de Xavier prend le chemin de Lisbonne et embarque pour Goa où il arrive le 6 mai 1542. Il organise aussitôt un collège, le premier des 250 que la Compagnie va installer dans le monde entier dans les quarante années suivantes.

C’est le début de son invraisemblable action pastorale: Inde, Comores, Ceylan, Malacca, Japon. Ce sont partout des enseignements, des baptêmes par millier, l’organisation d’églises. Il porte le titre de nonce apostolique et bientôt de Provincial de l’Inde, communauté si nombreuse qu’elle devient indépendante du Portugal. Lors de son séjour d’une année et demie au Japon, il a pris conscience de l’importance de la Chine du fait de son haut niveau culturel. Il prend le bateau en septembre 1552 pour la rejoindre, l’entrée en est très difficile. Il meurt à proximité, sur l’île de Sancian, le 3 décembre, à l’âge de 46 ans, épuisé par ses incessants travaux.

La Chine va devenir un centre d’attraction pour les jésuites des siècles suivants. La célèbre lettre de François Xavier aux étudiants de Paris, dont il avait fait partie, a provoqué en Europe une vague de vocations missionnaires. Notre apôtre les exhortait à quitter leur confort européen pour sauver les âmes de ces populations innombrables qui n’avaient jamais entendu parler du Christ. Son action est ainsi devenue la pointe spirituelle de cet audacieux mouvement d’exploration que les Portugais avaient entamé au début du XVe siècle sous l’impulsion du roi Henri le Navigateur.

Il faut prendre acte de l’ensemble du phénomène pour mieux comprendre sa vigueur et sa réussite.

Auteur:

Né en 1941, entré chez les jésuites en 1961, spécialiste de l’Histoire de l’Église, était engagé comme directeur spirituel au Séminaire diocésain du Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg et au Séminaire diocésain de Sion. Le Père Fellay a été rédacteur en chef de la revue culturelle choisir, directeur du centre interdiocésain à Fribourg, professeur à l'Institut Philanthropos et responsable du programme de formation du domaine de Notre-Dame de la Route à Villars-sur-Glâne.

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