• © Björn Eichenauer/Pixabay

Pornographie dévote

En lisant mon précédent «coup d’épingle» de début juillet, trois Internautes, bien qu’en des termes légèrement différents, se sont étonné(e)s de mon rapprochement entre la pornographie et la vie mentale, plus précisément la vie religieuse. Une clarification –et pour l’un d’entre eux, une rectificatio – leur semble nécessaire.

Je ne ferai pas amende honorable; car je maintiens qu’existe ce que l’on peut nommer une «pornographie dévote». (C’était l’expression litigieuse.) Il ne s’agit pas de nier la beauté des édifices religieux ou des liturgies protestantes, encore moins de condamner toute expression du culte dans l’espace public. Je laisse cela à ceux qui confonde la laïcité et la censure de tout ce qui pourrait rappeler la religion sous quelque forme que ce soit. Cet ostracisme, qui rejette le croyant hors de la société fondée en raison, est d’ailleurs contraire à l’article dix-huitième de la Déclaration universelle des droits humains (ONU 1948) qui pose, comme un dogme, la liberté de manifester ses croyances: «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites

En revanche, sous le terme «pornographie dévote» je rapproche ce qui est le propre de la pornographie et ce qui est le propre de la dévotion religieuse. Le propre de la pornographie c’est la mise au jour dans l’espace public de ce qui est intime. Ce qui est intime, ce ne sont pas simplement les parties du corps humain que, selon les diverses sociétés, chacun a été éduqué à cacher. Je me souviens d’une remarque horrifiée de ma grand’mère à ma petite sœur (huit ans) qui se promenait entièrement nue dans l’appartement: «ton grand-père ne m’a jamais vu nue!» Outre certaines parties du corps humain, l’intime désigne également certains sentiments –les amoureux n’ont pas besoin d’explication– et, d’une manière plus générale, tout ce qui touche au sens de la vie. Je dis bien le sens, et pas simplement l’explication formatée dans des phrases, des mots, un schéma de pensée, toutes manifestations publiques qui trahissent (dans les deux sens du mot) ce qu’il y a de plus intime.

Dans la sphère religieuse, en dépit des innombrables ouvrages de piété, le sens intime de la prière (la dévotion, ou la vie dévote comme dit le titre du plus célèbre ouvrage de «Monsieur de Genève», François de Sale, évêque d’Annecy au XVIIe siècle) n’est pas accessible par la voie des livres et des discours. Or la dévotion peut être approchée –mais non pas réduite– à ce qu’en disent les sciences théologiques (ces sciences qui, au sens littéral du mot, n’ont pas d’objet; car Dieu n’est pas extérieur au croyant); la dévotion peut également être approchée par les sciences humaines, notamment la psychologie, la linguistique, l’histoire et la sociologie, ou encore par les neurosciences. Mais ces approches théologiques ou scientifiques ne peuvent que manquer l’essentiel, qui est intime. Et ce, pour une raison simple. Car le sens est à faire (de même que le sens de la flèche, qui désigne un au-delà d’elle-même, appelle un choix). Anthony Elliott dans Concepts of the Self (Londres 2007, p.85) après avoir rappelé l’influence du milieu, précise avec juste raison: «Choisir […] c’est refaçonner un sentiment du moi

La pornographie dévote existe, je l’ai rencontrée. Je l’ai rencontrée chez certains qui, priant ou en psalmodiant dans leur chambre, laisse la fenêtre ouverte pour inonder l’entourage de leur sentiment intime. Je l’ai rencontré également chez ces prédicateurs qui, au lieu d’établir une sorte de dialogue raisonnable appuyé sur l’Écriture, déversent sur les fidèles leurs propres états d’âme. Je l’ai rencontré plus généralement chez tous ceux qui, naïvement, sont persuadés que ce qui donne sens à leur vie intime doit également donner sens à la vie de celles et ceux qui les entourent et, malheureusement, les entendent.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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