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«Plus de 65'000 victimes de la Forteresse Europe» nommées par leur nom

À l’occasion des Journées des réfugié·es, diverses initiatives ont eu lieu notamment à Zurich et à Genève, dont l’action «Les nommer par leur nom» qui invite les passants à lire les noms et prénoms de migrant·es ayant perdu la vie sur les routes de l’exil. Une action qui se tient chaque année le week-end le plus proche de la Journée mondiale des réfugiés du 20 juin.

Le Père Christoph Albrecht, responsable du Service jésuite des réfugiés en Suisse, participe depuis le début à l’action «Bein Namen nennen» menée à Zurich. Co-président du réseau Solinetze.ch regroupant les « Solinetze » (réseaux de solidarité) et d’autres organisations de base de la société civile suisse s’engageant en faveur des personnes en fuite / des personnes réfugiées, il explique l’espoir lié à leur action et rappelle la pétition publique à signer en ligne demandant à la Confédération une meilleure protection des migrants mineurs rappelant la ratification par la Suisse de la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU du 24 février 1997 (lire encadré).

Père Albrecht, pouvez-vous nous rappeler le concept de l’action « Les nommer par leur nom» (Beim Namen nennen)?

«Cette action a vu le jour en 2018 en lien avec la Journée des réfugiés du 20 juin. Chaque ville peut choisir la date exacte et la forme qu’elle souhaite lui donner. Deux éléments essentiels sont cependant souvent conservés: Les noms des réfugié·es décédé·es en cherchant à rejoindre l’Europe sont inscrits sur des morceaux de tissu blanc, exposés devant les parvis d’églises ; Ces tissus suspendus en espace public, pour rendre visibles ces vies perdues, sont lus par des bénévoles.»

Les noms affichés sont-ils ceux des migrant·es morts en 2024?

«Non, cette action concerne toutes les personnes décédées depuis 1993, moment où les chemins de l’exil sont devenus extrêmement dangereux. On compte et répertorie aujourd’hui plus de 65’000 noms. Ces personnes viennent de nombreux pays et ont perdu la vie en Méditerranée, dans les forêts entre la Biélorussie et la Pologne, dans des prisons, ou sur d'autres routes de l’exil. Ils ont souvent été déplacées contre leur gré.»

Y a-t-il un thème particulier à l’action cette année?

«Oui, cette année, l’action attire l’attention sur le sort des enfants et des mineurs. Pourquoi ? Parce que la Suisse, en délégant certains pourvoir à Frontex, contrevient à ses engagements de droits humains. Sur une île grecque par exemple, 500 mineurs non accompagnés sont retenus de force dans un camp. En parallèle, la Suisse finance Frontex à hauteur de 50 à 62 millions de francs pour la période 2025–2027. Cette agence, censée gérer les frontières, ne garantit pas le respect des droits humains, notamment des mineurs. Nous dénonçons une politique où la dignité humaine est sacrifiée pour des objectifs sécuritaires.»

Quelles sont les revendications principales?

«Nous demandons au Conseil fédéral d’agir sur quatre axes : un encadrement strict de la participation suisse à Frontex ; une opposition ferme à la situation en Grèce, l’arrêt du renvoi des migrants vers la Croatie, en toute connaissance des traitements indignes qui y ont lieu ; la prise en charge digne des familles et des mineurs en Suisse, trop souvent privées d'accès à l’école, de soutien psychologique, etc., ce qui va à l’encontre des engagements internationaux de la Suisse, notamment la Convention relative aux droits de l’enfant, ratifiée en 1997.»

Quel est l’espoir derrière cette action?

«Que la Suisse change sa pratique d’accueil, en particulier envers les mineurs. Tant qu’une personne est présente sur notre territoire, elle doit être traitée dignement. Actuellement, certaines pratiques cherchent à provoquer des départs « volontaires » en créant des conditions de vie intenables: interdiction de travailler, placement en camps inadaptés, absence de soutien psychologique, hébergement dans des abris souterrains ou à proximité des aéroports, avec un bruit un bruit dépassant largement la limite définie pour les zones habitables.

Quand les familles se plaignent, on leur répond qu’elles ont le choix de rester… ou de partir. Cela ne peut plus durer. Nous réclamons un traitement digne, conforme aux droits humains.»

En sollicitant des signatures, cherchez-vous aussi à sensibiliser?

«Absolument. Demander une signature, c’est aussi créer un lien. Expliquer la situation, faire comprendre, mobiliser. C’est une arme citoyenne.»

En tant que membre du Service jésuite des réfugiés (JRS) depuis 15 ans, voyez-vous des signes d’espoir?

«Oui, dans les rencontres humaines. Certaines personnes vivent des situations insoutenables, et pourtant, des liens se créent, parfois sur le long terme. Bien sûr, cela peut être douloureux, notamment lors d’expulsions. Mais vivre cette solidarité m’apporte aussi de la consolation. Je sais que ma présence peut faire une différence.

Je ne suis évidemment pas le seul en Suisse à m’engager activement. Et c’est aussi un signe d’espoir. Il faut notamment rendre hommage aux bénévoles des réseaux de solidarité, comme Solinetz Zürich, qui mobilise près de 500 bénévoles pour une cinquantaine de projets chaque année. C’est aussi le cas dans d’autres cantons. Le site solinetze.ch regroupe ces initiatives citoyennes engagées en faveur des personnes en fuite. Chacune a sa structure propre, mais nous poursuivons tous le même but.»

Entretien avec Christoph Albrecht sj mené par Céline Fossati

À son propos:

Christoph Albrecht SJ

Christoph Albrecht, né à Bâle en 1966, a appris le métier de mécanicien dans sa jeunesse, puis a suivi des études d'ingénieur électricien HTL. Jésuite depuis 1989, Christoph Albrecht sj a œuvré deux ans comme professeur en Bolivie. Il a étudié la philosophie à Munich, la théologie à Paris et à Innsbruck où il a fait un doctorat sur Luis Espinal sj. Il a ensuite travaillé comme animateur de retraites spirituelles et de formations aux Exercies spirituels, mais aussi comme aumônier universitaire et aumônier auprès des réfugiés.

Christoph Albrecht sj est actullement le directeur du Service jésuite des réfugiés en Suisse, membre du groupe de coordination du réseau migrationscharta.ch, co-président du Solinetz Zürich et de Solinetze Schweiz, responsable de l'aumônerie catholique des Gens du Voyage en Suisse et du ministère jésuite auprès des réfugiés en Suisse, ainsi qu'administrateur paroissial pour la paroisse de Greifensee.

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