Peut-on être procureur et "excédé"?

Cette semaine, Etienne Perrot sj épingle un seul mot: l’adjectif qualificatif utilisé par un chroniqueur, et repris sur le site du Temps de ce samedi 19 juin 2021. Relatant le procès dit «Bygmalion», il est écrit:  «Le parquet, excédé, a dénoncé ce jeudi des ‘dérives financières majeures’ et ‘un système opaque’». Le mot que j’épingle est évidemment le mot «excédé», qui fait tache lorsqu’on l’associe à une fonction judiciaire, ici le parquet, qui désigne en France le procureur chargé de défendre la collectivité dans l’application de la loi.

On se souvient que Bygmalion –aujourd’hui disparue– était une agence de communication qui avait accepté de fournir de fausses factures aux organisateurs de la campagne présidentielle du futur Président Nicolas Sarkozy. Ce qui avait permis au candidat de dépenser pour sa campagne électorale beaucoup plus (près du double) que les vingt-et-un millions d’euros autorisés.

Que les tenants de l’ordre public soient agacés par les chicaneries vétilleuses des inculpés, cela se comprend. Il en est de même pour tous ceux et celles qui sont chargés du maintien de l’ordre. Mais il est inadmissible que les représentants de la loi se laissent entraîner par leur passion. (Car qu’est-ce qu’être excédé, sinon laisser ses passions submerger sa raison.) En cas de bavure policière, on reproche à juste titre à l’agent public de ne pas avoir su raison garder. Encore plus peut-on reprocher aux magistrats de ne pas savoir garder leur calme face à des escarmouches qui ressemblent davantage à des faux-fuyants qu’à des arguments raisonnables. La justice est en cause.

J’ajoute deux sous dans la musique. Dans un débat contradictoire –ce qui est le cas de toutes les affaires judiciaires hors des pays totalitaires– il s’agit de convaincre l’arbitre, ici le juge. Or le juge sera d’autant plus attentif que son oreille aura été attiré par un éclat de voix. Tous les professionnels de la communication le savent; quel que soit le support, il faut des titres accrocheurs, des photos-chocs, des formules frappantes, des postures inattendues. Et dans la panoplie des moyens capables d’attirer l’attention, la violence verbale, réelle ou simulée, tient sa place. Certes, la violence verbale n’est pas un gage de raisonnement intelligent; mais elle fait partie des outils capable de toucher.

D’où deux interprétations bienveillantes de ce parquet «excédé». Soit il s’agit d’une feinte colère qui relève de la rhétorique. Soit le qualificatif litigieux ne fait que traduire le sentiment du journaliste excédé par la posture de la défense -et non la dérive du magistrat. Pour la justice en France, je souhaite que cette seconde interprétation soit la bonne.

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