Dans le monde entier, les chrétiens célèbrent la résurrection du Christ. Pour le Père Bernhard Bürgler sj, provincial des jésuites d'Europe centrale, la fête de Pâques de cette année est particulière. Les crises qui agitent le monde, qu'il s'agisse de la guerre en Ukraine, de la crise climatique ou des conflits au sein de l'Église, marquent un changement d'époque. Aujourd'hui, plus que jamais, Pâques doit nous mener à accepter nos vulnérabilités pour nous laisser transformer par Dieu. Voici son message:
Sombres jours que nous vivons en ces temps de troubles. Les récentes informations que nous avons reçues des différentes communautés jésuites de notre Province me redonner pourtant courage et m’emplissent d'espoir. J'entends parler d'entraide, de confrères et de communautés tout entières qui accueillent des réfugiés ukrainiens chez eux et qui leur tendent la main. Les jeunes jésuites en formation du Berchmanskolleg de Munich ont par exemple quitté leur résidence pour s’installer dans la communauté jésuite principale afin que des familles puissent s’y installer.
Tous ces signes d'espoir ne doivent bien sûr pas nous faire oublier la violence inouïe à laquelle nous sommes confrontés. Cette guerre en Europe a été une surprise pour la plupart d'entre nous. Pas tous. Certains, plus proches du lieu du conflit ou plus clairvoyants, n'ont pas été étonnés par l'invasion russe. Mais une chose est sûre. Nous sommes tous unis par l'horreur et l'impuissance face à cette guerre d'agression qui plonge un pays européen dans la souffrance et la mort.
Des experts évoquent notre entrée dans une nouvelle ère, et même si nous ne le ressentons pas encore vraiment dans notre quotidien, il me semble que cette affirmation est fondée. Et ce changement de paradigme ne concerne pas seulement les questions politiques qui nous touchent. Nous pouvons aussi parler d'une nouvelle ère au regard des questions écologique, économique ou du rôle et de l'avenir de l'Église: nous sentons tous qu’une époque est révolue mais personne ne sait sous quelles formes des réponses nouvelles émergeront.
Se sentir vulnérable
Il me semble que nous pouvons qualifier toutes ces épreuves qui impactent de nombreux domaines de notre vie et de celle de notre société comme des expériences de vulnérabilité. Il s'agit d'expériences et de postures étroitement liées à celles que nous célébrons en ces jours de Pâques.
Face à la violence de la guerre, aux conflits de pouvoir au sein de l'Église et au désespoir de certains qui constatent que la transition socio-écologique nécessaire peine à progresser, il est humainement naturel de se laisser envahir par la colère, de chercher à pointer du doigt les responsables ou à fermer les yeux sur la souffrance et l'injustice en se réfugiant dans ses activités quotidiennes. Demeurer vulnérable, adopter l'attitude de la troisième semaine prônée par les Exercices spirituels de saint Ignace, est tout autre chose. Cela demande d’être prêt à regarder la violence, les tensions et la souffrance en face pour se rapprocher de soi et, dans une posture d'abandon et d'amour, se laisser réconcilier sous le regard de Jésus-Christ. «Par ses blessures, nous sommes guéris», nous dit la liturgie que nous célébrons ces jours-ci. Laisser sa vulnérabilité s’apaiser sous le regard du Christ ne signifie pas que nous ne ressentons plus la douleur, mais que nous pouvons la supporter et la laisser se transformer par la grâce de Dieu, tout comme nous pouvons encore voir les stigmates sur le Ressuscité. Et cela ne signifie pas non plus adopter une attitude de passivité. Frère Roger, le fondateur de la communauté de Taizé, assassiné en 2005, l'exprimait ainsi: «lutter avec un cœur réconcilié».
La croix devant les yeux
L’un des symboles de la vulnérabilité chrétienne est bien évidemment la croix, d'où jaillit la vie. En Lituanie, près de la frontière avec la Lettonie, se trouve la Colline des Croix. En des temps où il était interdit d'accrocher ce symbole à leurs murs sous peine d'amende, des milliers de fidèles se sont rendus sur cette colline pour témoigner de leur foi en y déposant une croix. Les croix de cette colline ont été détruites à plusieurs reprises, elles ont toujours été remplacées par de nouvelles, plus imposantes encore, plus impressionnantes que les précédentes. La Colline des Croix n'est pas un symbole de mort, mais d'espoir, de consolation et de résurrection. Notre espérance pascale est que tout ce qui naît de la posture de la croix, de la vulnérabilité, puisse être transformé, renouvelé par l'Esprit Saint, et mis au service de Dieu.
Je vous souhaite une belle et sainte Pâques!
Bernhard Bürgler sj
Provincial des jésuites d'Europe centrale