Les lecteurs de ce blog savent que je me suis toujours élevé contre l’interdiction totale de la mendicité dans les villes. La raison fondamentale en est l’impossibilité pour les administrations sociales – qu’elles soient publiques ou privée – de tenir compte des itinéraires singuliers des quémandeurs. S’est vite éteint le rêve de Léon Bourgeois, fondateur du mouvement solidariste à la fin du XIXe siècle, qui pensait pouvoir remplacer la charité personnelle, paternaliste, sujette à l’émotion plutôt qu’à la raison, par l’administration rationnelle des secours aux miséreux.
Certes, j’ai bien conscience de la gêne provoquée par les mendiants, dont la présence provoque la répulsion, la peur, et le refus d’envisager qu’un jour peut-être, on pourrait en être réduit à cette situation qui nous répugne. L’avertissement lancé par la Confédération le 4 octobre 2024, suggérant à tous les ménages résidant en Suisse de constituer quelques réserves pour une quinzaine de jours, tout en apparaissant aux yeux de beaucoup comme une précaution sans justification, ne peut que nourrir une telle angoisse d’être réduit à quia.
Quoi qu’il en soit de la liberté intérieure face aux drames qui peuvent se cacher dans l’inconnu de l’avenir, je salue la suspension, par la Cour constitutionnelle, de la nouvelle loi sur la mendicité dans le canton de Vaud. Sur ce sujet, la Cour européenne avait déjà conclu que «seule la mendicité intrusive ou agressive et dans des lieux tels que les files d’attente ou des transports publics pouvait être interdite». Or la loi vaudoise élargissait tellement l’éventail des lieux interdits aux mendiants qu’elle rendait la mendicité pratiquement impossible dans la cité.
J’épingle ce fait car un argument auquel je n’avais pas pensé a été présenté par les requérants contre la loi litigieuse du canton de Vaud. La pasteure Hélène Küng , ainsi que Anne-Catherine Reymond présidente de la communauté Sant’Egidio à Lausanne, et d’autres, y voyaient «une atteinte à la liberté religieuse». N’en déplaisent à ce que le droit canonique de l’Église catholique romaine nomme «les ordres mendiants» (dont l’archétype est l’ordre des franciscains) cet argument religieux me paraît bien faible, qui s’appuie sur le livre du Deutéronome dans la Bible. Laïcité oblige qui ne peut fonder une règlementation publique sur une tradition religieuse particulière.
Reste l’argument le plus fondamental, car le plus respectueux des personnes : l’interdiction totale de la mendicité repose sur l’amalgame entre les mendiants et les délinquants. Inquiéter son prochain, le rendre sensible à autrui qui souffre ne constitue pas un crime, bien au contraire, il ouvre la voie d’une humanisation des passants. Comme je l’écrivais dans feu la revue choisir : «Sous quelques noms connus (compassion bouddhiste, charité chrétienne, aumône musulmane), cette gratuité sans laquelle il n’y a pas de relation humaine est, à bon droit, l’un des piliers – et le critère – de toute religion authentique, qu’il s’agisse de religions civiles ou de religions dites révélées.»