• Dans la liturgie orientale, l’ordre gratuit du service est symbolisé par les vêtements liturgiques.
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Mathias Werfeli sj: «En todo amar y servir»

Le 11 avril à la Chiesa del Gesù, à Rome, Mathias Werfeli sj sera ordonné diacre par le cardinal Hollerich sj, aux côtés de son compagnon de la Province Lukas Kraus sj et de 18 autres jésuites issus de diverses Provinces du monde. Ce qui distingue le jésuite suisse de ses compagnons, c’est sans doute sa proximité avec l'Église gréco-catholique ukrainienne de Suisse dont il est sous-diacre. (voir l’article de kath.ch à ce sujet ici). Il explique ce que signifie pour lui son ordination à venir et donne quelques clés de compréhension des différences qu’il vit entre les deux traditions écclésiales.

Comment parler de l’ordination? Comment parler d’un moment qui est à la fois le point culminant de la formation théologique et en même temps le point de départ d’un service tout autre au sein de la communauté chrétienne?

Un prêtre «bi-ritualiste»

Disons-le tout de suite, pour le jésuite que je suis, vivant entre deux traditions ecclésiales, je m’en réjouis. Né protestant-réformé, j’ai fait connaissance de l’église catholique à travers une paroisse gréco-catholique ukrainienne -aujourd’hui j’appartiens toujours à cette église- où j’ai débuté en chantant dans la chorale. Notre église fait partie de l’église catholique universelle, donc je me sens tout aussi à l’aise dans la tradition romaine. Pour mon service diaconal, j’ai demandé la faculté du bi-ritualisme, soit l’autorisation de pouvoir servir selon le rite byzantin aussi bien que selon le rite romain. Pour moi, cela signifie profiter de deux spiritualités, ou respirer avec deux poumons comme le disait Jean-Paul II.

«Aimer et servir en tout Dieu notre Seigneur»

Pour symboliser le sens de mon ordination diaconale, j'ai choisi une citation de saint Ignace de Loyola, le fondateur de la Compagnie de Jésus, issue des Exercices spirituels (n° 233): «En todo amar y servir - En tout aimer et servir». Cette phrase de saint Ignace me sers aussi de fil conducteur pour ma vie de religieux et de diacre.

Aimer, c’est tout donner! C’est dire «oui» sans réserve et sans retenue. Mais aimer, ce n’est pas être amoureux, ce n’est pas seulement un sentiment éphémère qui vient et qui passe. Aimer, c’est prendre une décision, c’est avoir et donner sa confiance. Je pense que le terme hébreu « אמן » (aman) exprime bien cette manière d’aimer. Il est la racine de notre «Amen», expression d’affirmation (ainsi-soit-il!). Il signifie aussi: «digne de confiance, ferme, durable, solide». Autrement dit, c’est un amour qui vit des moments heureux et difficiles, sans perdre le cap. Car oui, aimer, c’est tout donner, mais cela ne veut pas dire être aveuglement. Cela signifie implicitement: être fondé sur des bases solides.

De l’aveuglement à la reconnaissance du mystère

L’amour, c’est aussi la reconnaissance d’un mystère. Ce que le théologien et philosophe de la religion Romano Guardini dit de l’amitié, me semble aussi valable pour la nature de l’amour. Il la décrit en trois phases. Dans la première, nous voyons notre relation à autrui parée de rose. Puis, au fil du temps, réalisant que l’autre n’est pas parfait, nous sommes quelque peu déçus. Dans une deuxième phase, nous redoublons d’efforts afin de tout connaître de l’autre et ainsi éviter les malentendus et être capable de le «comprendre» complètement. Mais aussitôt survient un second revers: on se rend compte qu'il est impossible de savoir et de comprendre tout de l’autre (comment le serait-ce?! Nous ne nous connaissons même pas suffisamment nous-mêmes!).
Le plus souvent, cela sonne la fin de la relation: ayant «tout essayé», nous en sommes venus à désespérer. C’est à ce moment, dit Guardini, que débute la troisième phase de l’amitié, celle de la confiance et de la sérénité envers le mystère. Nous reconnaissons enfin qu’autrui possède un côté mystérieux, soustrait à notre compréhension. Ce qui induit en même temps une grande fascination. Chaque jour, une face nouvelle est à découvrir et amène une nouvelle chance de renouer avec l’amour.

Dans ma vie religieuse, Jésus, le Dieu-fait-homme, prend la place de cet autre. Lui aussi restera toujours pour moi un grand mystère, car il est le tout-Autre, le grand Inconnu. D’un autre côté, il est celui dont je sais déjà tellement (par mes études, ma prière et mes méditations), mais dont je découvre une nouvelle facette chaque jour. Il se révèle non seulement à travers les paroles des Écritures, mais aussi au sein du monde et des créatures dont nous faisons partie (le deuxième évangile selon Duns Scotus est la nature créée). Par conséquence, il est normal que ma relation à Jésus passe par mes prochains, femmes et hommes que je rencontre quotidiennement.

«Y servir» en tant que diacre catholique-romain et gréco-catholique

C’est à cet endroit précis que le second terme de la citation de saint Ignace trouve son application: «servir». Il y a bien sûr une signification particulière au mot servir qui peut différer de celui communément employé. Si je vivais le service comment le font les chauffeurs de bus à Rome qui voient leurs passagers comme un «mal nécessaire», et les transports publics comme une grâce que les passagers devraient accueillir humblement, j’aurais évidemment tort. Le service du diacre, comme de tout religieux, est de l’ordre de la gratuité: «Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement» (Mt 10,8). Je sais que malheureusement, au fil de l’histoire, cela n’a pas toujours été le cas, et cela ne l’est toujours pas en tout lieu. Pourtant la vérité est là: dans le don de soi au service de ses prochains.

Dans la liturgie orientale, l’ordre gratuit du service est symbolisé par les vêtements liturgiques.

L’étole croisée symbolise les ailes des anges, servants-messagers entre Dieu et l’Homme.

C’est un service désintéressé, soumis entièrement à la volonté de Dieu et au bien des femmes et des hommes servis. Quant au diacre, pendant qu’il mène les intercessions du peuple devant l’iconostase – une cloison d'icônes qui, dans les églises de rite byzantin, sépare la nef du sanctuaire où se célèbre la liturgie eucharistique – il tient dans sa main droite la fin de son étole pointant vers le ciel, comme les séraphines qui indiquent Dieu avec leurs ailes.

Vous allez peut-être me rétorquer: «tout ce décorum, c’est bien beau. Mais cela ne fait écho en rien à la réalité sociale, ni à l’état de notre monde». Et vous en auriez raison si le service du diacre se contentait de se déployer dans un espace liturgique concis, à l’intérieure d’une église. Or, en dehors de la liturgie, le diacre est destiné à être signe du royaume de Dieu, appelé à appliquer dans le quotidien ce qu’il a affirmé: «Amen!». C’est pourquoi la tradition byzantine ne connait pas l’adoration du Saint Sacrement. Ayant participé à Son Corps, nous devenons membres de Son Corps, et nous l’adorons en faisant sa volonté: «Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.» (Mt 25,40)

«En tout aimer et servir», c’est ainsi avoir confiance en l’amour de Dieu et servir nos prochains, dont les plus petits, en gratuité et désintérêt.

J’ajouterai un dernier aspect important à ce tableau: gardez votre humour! Oui, l’état du monde est grave. Mais avoir confiance, c’est aussi ne pas perdre sa capacité à rire et son sens de l’humour, même s’il est teinté de noir. Le pire, selon le Pape François, est de nous enfermer dans un pessimisme triste. La joie fait partie de la foi chrétienne! Bientôt, nous célébrerons le dimanche des Rameaux, en mémoire du moment où le peuple de Jérusalem accueille Jésus avec joie et exubérance. Cette joie m’encourage à vivre le diaconat en aimant, servant et sans oublier de sourire!

Auteur:

Mathias Werfeli SJ

Mathias Werfeli sj est né en 1977 à Bâle, en Suisse, au sein d'une famille réformée. Il a grandi à Bâle-Campagne aux côtés de ses parents et de son frère. Il a poursuivi des études en histoire médiévale, ainsi qu'en littérature et linguistique anglaise à l'Université de Bâle.
Dès son adolescence, le jeune Mathias Werfeli s'intéresse à la spiritualité et la liturgie de l'Église orientale. Il participe en tant que choriste à la communauté gréco-catholique ukrainienne de Zurich, où il est finalement intégré et nommé sous-diacre après un cheminement de 15 ans. Pendant ses années universitaires, il s'implique également dans la vie de la communauté catholique de l'Université de Bâle, où il apprend à connaître et à apprécier les jésuites et leur spiritualité à travers les Exercices spirituels.
En 2015, il rejoint la Compagnie de Jésus. Après avoir étudié la théologie et la philosophie à Paris, il rentre à Zurich pour suivre un stage d'un an au sein de la communauté universitaire catholique (Aki). Depuis 2022, Mathias Werfeli sj poursuit ses études à l'Institut pontifical oriental de Rome.

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