Loi anti-terrorisme: pour agir à titre préventif

Le référendum populaire ayant formellement abouti, la Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) est soumise au peuple helvétique qui votera le 13 juin prochain. Quelque 112 membres du Conseil National  (57% de la Chambre basse) ont approuvé cette loi, contre 84 qui l'on rejetée. Au Conseil des Etats, l’approbation fut plus nette: 33 membres pour (75% de la Chambre haute) pour 11 contre.

Les arguments favorables rédigés par le Conseil fédéral et le Parlement sont bien connus. Ils veulent acter une base légale pour donner à la police «davantage de moyens pour agir à titre préventif  (c’est moi qui souligne) en cas de menace terroriste». Cette volonté d’augmenter les moyens de la police pour lutter en faveur de la sécurité s’appuie sur des phénomènes facilement constatables, détaillés en avril dernier dans le Rapport du Conseil fédéral sur la politique de sécurité de la Suisse: les cyberattaques sont en forte augmentation, notamment de la part de la Chine et de la Russie, et «les infrastructures critiques» suisses ne sont pas à l’abri. L’espionnage est également toujours problématique avec, une fois de plus, la Russie au centre de l’équation. Tous ces dangers sont d’autant plus prégnants que s’érodent les structures de sécurité internationales. Et je ne parle pas de ce que le gouvernement français cache pudiquement sous le nom d’ «incivilités», et qui, parfois, sont des violences sans phrase contre les personnes et les biens.

À ces arguments, les deux comités référendaires opposent la menace contre l’État de droit, en permettant des actions de police à titre préventif, «en cas de menace terroriste», certes, mais menace par nature imprécise, et qui renverse la charge de la preuve pesant jusqu’ici sur la police. Cela, disent les opposants à la loi, laisse une trop large place aux appréciations discrétionnaires, sans contrôle judiciaire préalable.

Rejoignant cette position, la Commission Justice et Paix  de la Conférence des évêques suisses préconise le «non» à la révision de la MPT (communiqué paru mardi dernier, 18 mai 2021). On pourrait résumer cette position par le principe de morale élémentaire «la fin ne justifie pas les moyens». La Commission préconise plutôt un examen et une mise en œuvre plus effective de l’arsenal règlementaire déjà acté dans la législation helvétique. Elle évoque notamment les normes pénales contre le terrorisme, le plan d’action national de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent, ainsi que la loi  sur le renseignement (LRens).

Abordant une dimension moins technique, la Commission épiscopale prétend que la loi insuffle un esprit de «sécurité réalisable». Je vois poindre ici la peur d’une certaine tradition chrétienne contre cette prétention de la modernité à se comporter, selon la formule de Descartes – tout-à-fait représentative du rationalisme du XVII° siècle – comme «maître et possesseur de la nature» (ici la nature sociopolitique des dangers qui menacent le vivre-ensemble). L’objectif de sécurité, souligne la Commission épiscopale ne peut pas être fixé en termes absolus, «car il faudrait alors renoncer complètement aux libertés individuelles».

Comme disait déjà ma grand’mère qui avait beaucoup de sagesse : «L’idéal de la sécurité à 100% est une illusion.» Certes ! Mais c’est la dignité des personnes et la responsabilité des gouvernants de faire tout ce qui est en leurs pouvoirs pour mettre en place les structures de police aptes à soutenir la résilience démocratique dans la paix et la justice. Ici comme dans toutes les situations complexes – et les problèmes d’organisation politiques sont toujours complexes – la prudence, le bon dosage et le discernement jouent les premiers rôles. Le Conseil constitutionnel français vient d’en témoigner en retoquant l’article 51 de la loi française sur les manifestations publiques, (article controversé qui interdisait aux médias de divulguer la photographie des policiers agissant dans le cadre de ces manifestions).

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