AOT : Trois lettres pour une aventure œcuménique unique à Genève. L’Atelier Œcuménique de Théologie fête un demi-siècle d’existence et se réinvente pour mieux répondre aux réalités d’aujourd’hui. Né d’une collaboration entre jésuites, dominicains, prêtres séculier, pasteurs et théologiens protestants , l’AOT dont l’équipe d’enseignants a été rejointe par un théologien orthodoxe, propose désormais des formats flexibles pour s’adapter aux contraintes des agendas contemporains, tout en restant fidèle à sa mission : explorer les textes bibliques et la théologie chrétienne dans un esprit d’ouverture et de dialogue. (lire encadré).
Lorsqu’il démontre qu’au-delà des différences confessionnelles, les chrétiens, les « chercheurs » peuvent dialoguer, prier et agir ensemble, l’œcuménisme se fait porteur d’espoir. Dans un monde marqué par les divisions et les replis identitaires, il incarne une dynamique d’unité dans la diversité. Il nous apprend à reconnaître en l’autre un frère, une sœur en Christ, et invite à construire ensemble une foi vivante, enracinée dans l’écoute, le respect et la communion. C’est ce que nous explique le Père Bruno Fuglistaller sj, co-directeur catholique de l’AOT, dans cet entretien.
Père Bruno, quel est le but de l’AOT aujourd’hui ?
« L’AOT veut permettre aux chrétiens de différentes confessions et celles et ceux qui cherchent de se rencontrer, de découvrir la richesse de leurs différences, mais aussi tout ce qui les unit. Ce dialogue permet une vraie croissance mutuelle. Au fil des années, nous avons vu naître une véritable culture de travail en commun entre catholiques, protestants et orthodoxes – une collaboration autrefois inimaginable. Il s’agit d’un lieu où les croyants et les curieux peuvent réfléchir ensemble à leurs questions, leur foi, les exprimer, et apprendre à se respecter dans leurs différences. »
Pourquoi ne pas inclure aussi des croyants d’autres religions ?
« L’ADN de l’AOT est l’œcuménisme : approfondir les diverses traditions au sein du christianisme. Cela dit, nous avons conscience de l’importance du dialogue interreligieux dans le monde d’aujourd’hui. C’est pourquoi nous allons introduire un module spécifique consacré à ce dialogue, dans une perspective respectueuse de nos compétences et de nos engagements. »
Comment l’œcuménisme peut-il nourrir l’espérance aujourd’hui ?
« Il répond à l’appel du Christ dans l’Évangile de Jean : « Que tous soient un ». Malgré les différences historiques et doctrinales, nous pouvons faire beaucoup ensemble. Des initiatives communes ont vu le jour à Genève durant ces années d’existences de l’AOT : dans les hôpitaux, les prisons, les paroisses, les services de nos Eglises ... L’AOT forme depuis des décennies des personnes engagées dans ces milieux. C’est bouleversant de voir des participants arriver parfois méfiants, puis découvrir combien il y a de points communs entre nous – bien plus que ce qui nous sépare, et les voir découvrir l’enrichissement mutuel. »
Pourquoi est-ce si important aujourd’hui ?
« Parce que notre monde est traversé par des replis identitaires, y compris religieux. Face à cela, l’œcuménisme oblige à la nuance, à la complexité. Il empêche les raccourcis. On ne peut pas réduire la foi à des slogans. Le dialogue œcuménique invite à prendre en compte l’histoire, les évolutions théologiques, les différences de contexte. C’est une marche vers l’unité, non pas dans l’uniformité, mais dans une dynamique où l’on accepte d’être et de travailler ensemble, même avec nos différences. »
Comment l’AOT s’adapte-t-il aux nouveaux besoins ?
« Nous avons repensé l’organisation en créant différents modules : certains centrés sur la Bible, d’autres sur la théologie. Chaque filière propose un module d’introduction obligatoire, suivi de cours d’approfondissement et d’ateliers. Cela permet à chacun de s’investir selon ses disponibilités – trois mois ou six, ou deux, trois ans ou plus, tout est possible. Même ceux qui n’ont que peu de temps peuvent « embarquer pour une courte traversée ». »
Vous avez aussi actualisé le contenu ?
« Oui. Par exemple, notre module biblique de base a été complètement revu à la lumière des recherches récentes. On y aborde la formation du canon biblique, l’évolution des textes jusqu’à leurs versions actuelles, les différentes traductions à partir de l’hébreu, de l’araméen et du grec. Ces découvertes remettent parfois en cause des idées reçues, et c’est précieux. Si vous avez étudié la théologie il y a même seulement 15 ans ans, ce module est un vrai aggiornamento ! »
En quoi l’œcuménisme est-il une réponse aux défis contemporains ?
« Dans un monde fragmenté, où le religieux est souvent instrumentalisé, le dialogue œcuménique rappelle que la foi est d’abord une relation à Dieu, vécue un peu différemment selon les traditions. Il nous aide à dépasser les apparences, à comprendre l’autre, à construire ensemble. L’unité n’est pas un objectif figé, mais un chemin. L’AOT, en ce sens, est un lieu d’espérance active. »
Et ceux de demain ?
« L’avenir de l’œcuménisme dépendra de notre capacité à continuer cette marche, sans se décourager face aux obstacles. Ce qui fait échouer l’unité, ce sont les certitudes figées, les exclusions. Le dialogue exige patience, humilité, et volonté. L’AOT veut continuer à être un lieu où cette ambition se construit, pas à pas. »
Propos receuillis par Céline Fossati