L'inévitable restructuration de la Poste

La situation n’est pas nouvelle. Comme dans tous les pays, les services postaux sont à la peine. Une fois de plus, les techniques d’informations et de communications imposent des adaptations contraignantes pour les employés des services postaux. Lorsque l’ancienne ‘chaise de poste’ –la Malle-Poste qui transportait, selon un rythme régulier, quelques passagers avec les missives– s’est substituée au ‘courrier’ personnel affrété à la demande ; lorsque la ‘ligne’ (aérienne) a doublé la ‘messagerie’ (maritime) ; lorsque le ‘pneumatique’ a doublé la ‘lettre’ ; lorsque le télégraphe a concurrencé la missive ; lorsque le téléphone a remplacé le télégraphe… à chaque fois, il a fallu chambouler l’organisation du travail de la Poste.

‘Destruction créatrice’ dirait l’économiste Schumpeter. On sacrifie les manières de faire qui avaient fait leurs preuves en faveur d’autres procédés que l’on suppose plus adaptés. Il en va de même aujourd’hui: le rouleau-compresseur Internet écrase les manières de travailler des employés de la Poste. De nombreux emplois sont sur la sellette. La Poste helvétique l’a annoncé. Je gage qu’elle saura mieux gérer le problème que la Poste française. Il faut reconnaître que l’intelligence des syndicats fait beaucoup –dans un sens ou à contre-sens– dans l’adaptation de l’outil de travail aux exigences de la demande.

Faut-il craindre, comme certains le prédisent, des ‘destructions d’emplois’. Dans les services postaux, certainement. Mais j’ai des raisons de penser que globalement, il n’en sera rien. Je n’imagine pas que le nombre des ingénieurs en électroniques nécessaires pour faire marcher convenablement le Web compensera le nombre d’emplois perdus dans la Poste et ailleurs, ni même que comblera le vide les nouveaux services fournis au monde entier par les réseaux hertziens –depuis les ‘développeurs’ d’algorithmes jusqu’aux ‘influenceurs’ qui tentent de s’enrichir en vendant leur charme par le moyen de chaines YouTube ou autres.

Je fais le pari que, si elle est au rendez-vous, la réorganisation intelligente des processus de travail augmentera la productivité globale du travail de la nation helvétique, augmentation qui seule permettra la rémunération de nouveaux emplois dans des secteurs parfois très éloignés du secteur postal.

Vision bien optimiste, dira-t-on, qui sera sans doute dilapidé par quelques gaspillages? Le principal danger n’est pas là. Il est, me semble-t-il dans la possible déshumanisation de ces emplois créés dans d’autres secteurs, s’ils ne sont conçus que pour se conformer à un formalisme mécanique au nom d’un idéal de précaution. Ce danger est réel en ces temps où la sécurité monte sur la plus haute marche du podium des valeurs. Mais l’affronter lucidement et y parer dans toute la mesure du possible a du moins le mérite d’éviter l’illusion du loisir permanent pour tous durant toute la vie. Pas plus qu’aujourd’hui, demain, on ne rasera pas gratis. Si on prend garde à l’organisation de ce travail, ce ne sera peut-être pas une mauvaise chose.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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