• Jean-Blaise Fellay sj et Stéphanie Fiorina de l'Imprimerie Fiorina @ Raphaël Fiorina
  • L'église des jésuites de Sion devant le château de Valère @ DR
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L’imprimerie Fiorina et les jésuites

Le vendredi 20 janvier 2023, celles et ceux qui ont fait choisir se sont retrouvés à la rue Jacques-Dalphin de Carouge, l’ancien siège de la revue choisir, pour un dernier moment festif après la publication du dernier numéro. J’ai été très heureux de revoir André et Stéphanie Fiorina qui ont imprimé des années durant la revue à Sion. Était aussi présent Raphaël, frère d’André et oncle de Stéphanie, lui aussi dans le métier par la photographie et la mise en page. Ce dernier ne savait rien des relations entre l’imprimerie Fiorina et les jésuites, qui dataient de la deuxième guerre mondiale déjà. Il m’a demandé davantage de renseignements, voilà ce que j’ai retrouvé.

D’Innsbruck à Sion

En 1938, après l’Anschluss de l’Autriche par le Reich hitlérien, la Faculté de théologie d’Innsbruck dirigée par les jésuites émigre discrètement en Valais où elle est connue sous le nom d’université américaine. Elle compte en effet un certain nombre d’étudiants des USA attirés par la réputation des professeurs de la faculté de théologie en particulier les frères Rahner, Karl et Hugo. Elle s’installe dans les bâtiments de l’ancien hôpital à la rue de la Dixence, construits par un architecte jésuite au XVIIIe siècle. Les étudiants intriguent les Sédunois en skiant à Thyon avec leurs soutanes.

La Faculté a besoin d’un imprimeur pour les cours, les thèses, les documents administratifs. Elle s’adresse à l’imprimerie Fiorina et Pellet située à la rue de la Lombardie, quelques centaines de mètres plus haut. C’est ainsi que Charles Fiorina, maître imprimeur et typographe (son beau-frère Pierre Pellet s’occupe de l’administration) doit composer des textes rédigés souvent en latin, la langue usuelle des professeurs et des étudiants. Cela oblige ce Lombard d’origine, fils d’une mère haut-valaisanne germanophone et né dans une cité francophone, d’apprendre le latin au clavier d’une Linotype. Cette collaboration est aussi l’origine du respect qu’inspirent désormais les Jésuites dans cette famille d’origine italienne, marquée par un certain anticléricalisme et les souvenirs de l’épopée garibaldienne.

Les jésuites suisses indignes du Reich

À la même époque, le supérieur de la Mission helvétique, le Père Paul de Chastonay sj rédige la biographie d’un des prédicateurs jésuites suisses les plus influents à l’époque du Sonderbund, le Père Pierre Roh sj (1811-1872), originaire de Conthey aux portes de Sion. L’adaptation française de son livre par le Père André Favre sj, parut en 1945 aux éditions Fiorina et Pellet de Sion.

C’est aussi l’époque où naît la vice-Province suisse de la Compagnie de Jésus. Le chancelier Hitler avait déclaré les jésuites suisses indignes du Reich, la Suisse ne pouvait pas refuser le retour de ses citoyens sur son territoire, même si la Constitution de 1874 leur interdisait toute activité à l’église et à l’école. Par bonheur, les législateurs des restrictions anticatholiques n’avaient pas imaginé des activités dans la presse et les médias. C’est ainsi qu’un Institut apologétique se créa à Zürich sous forte personnalité de Mario von Galli. Elle publia des Apologetische Blätter qui devinrent bientôt la revue jésuite Orientierung. Son développement à l’époque du Concile en fera la plus répandue des revues jésuites européennes.

Le Provincial Joseph Stierli sj souhaitait la création d’un tel Institut et d’une revue semblable en Suisse romande. Il chargea un jeune jésuite sédunois, Jean Schmid sj, un contemporain de Jean Fiorina, d’en préparer le lancement. Installé au Salésianum à Fribourg, il lançait les premiers contacts lorsqu’il mourut tragiquement. C’est son ami, Robert Stalder sj, qui préparait sa carrière d’enseignant en philosophie, qui dut reprendre les travaux et la charge de rédacteur en chef de la revue. Le Père Jean Nicod sj, qui appartenait à la Province de Paris, assuma le poste de directeur; Raimond Bréchet sj qui venait de rejoindre la Compagnie lui fut adjoint. Avec l’aide d’un journaliste laïc professionnel, ils lancèrent la revue choisir. Ce nom était en écho avec l’Orientation de Zürich et avec la Grande Décision (Der grosse Entschluss) de Vienne: c’était l’affirmation d’une revue engagée.

De Fribourg à Genève

La rédaction de choisir s’installa dans le noviciat tout neuf de Notre-Dame de la Route en 1959 à Villars-sur-Glâne. Bridée par la censure épiscopale de Fribourg, elle prit la direction de Genève au printemps 1962 et trouva un nid au 7e étage de l’avenue du Mail, dans des locaux de la paroisse St-Boniface. Elle s’y trouva à l’étroit, au moment de l’arrivée de quatre jeunes jésuites romands, Jean-Bernard Livio sj, Joseph Hug sj, Albert Longchamp sj et Jean-Blaise Fellay sj dans les années 1971-72. On acheta une maison à Carouge pour loger la communauté, la revue, le centre de documentation et la bibliothèque. Ce fut une ruche très active et bien connue dans l’Église et les médias romands.

Quand je succédais à Jean-Bernard Livio sj, au poste de secrétaire de rédaction, notre imprimerie restait, depuis les origines, celles des sœurs de Saint-Paul à Fribourg. Elles réalisaient un travail très propre mais les délais étaient longs et dépendaient de la poste, la mise en page était sommaire. Nous souhaitions, Albert Longchamp sj et moi, en prenant la responsabilité, d’en faire une revue plus proche de l’actualité, illustrée, d’une facture plus moderne.  Il fallait revoir toute la procédure éditoriale.

Édition d’un autre temps

Les textes nous parvenaient souvent à l’époque sous forme de manuscrits, au sens propre du terme, c’est-à-dire des textes écrits à la main, qu’il fallait dactylographier avant de les envoyer à St-Paul. Ils nous revenaient sous formes de longues bandes à coller sur les deux colonnes de la maquette. La mise en page consistait à mettre un titre au sommet de la première page, puis insérer des sous-titres et des encarts, parfois des recensions, de manière à terminer les articles proprement en fond de page. Cela se faisait avec une gigantesque paire de ciseaux, un pot de colle, et la règle du typographe, qui comportait les centimètres d’un côté et les cicéros (l’unité graphique des imprimeurs) de l’autre. Pour gagner du temps, je recevais les bandes en fin de semaine et les rapportais le lundi matin de bonne heure à Fribourg. C’était déjà plusieurs jours de gagnés.

Les manuscrits prenaient aussi trop de temps à être corrigés et dactylographiés. Il fallait ensuite les distribuer au conseil de rédaction, en discuter et tenter de constituer un numéro équilibré. C’est alors que j’entendis parler d’un ingénieur de l’Université de Lausanne qui avait une machine pour lire et transcrire les manuscrits. Il nous fournit des documents scannés. Les premiers traitements de texte arrivaient. Un notaire nous donna une de ses anciennes machines. C’était un petit meuble, qui valait 34'000 frs à l’achat, constitué d’une IBM à boule reliée à un petit écran sur lequel on pouvait entrer les corrections.

Vers la modernité

Grâce à mon père, nous avons reçu ensuite un IBM 286 avec une imprimante et un traitement de texte. La mise en page pouvait se faire directement à la rédaction, mais il nous fallait une imprimerie à proximité. Nous avons ainsi quitté les sœurs de St-Paul en 1977 pour la grande imprimerie Studer qui avait introduit la photocomposition. C’était l’Eurocat de Bobst, une petite merveille, de surcroît, l’impression avait abandonné le plomb pour l’offset, une autre évolution du métier. Malheureusement, la maison Studer n’osa pas franchir le pas et changer tout son parc de machines, elle finit par faire faillite. Nous pûmes trouver une petite maison plus audacieuse à la rue du Vieux-Billard. Elle avait acheté une machine américaine. Je me rappelle ses immenses disquettes de travail, elles avaient la grandeur d’un disque de vinyle musical. Le patron, qui était un passionné du métier, devint un ami. Cet excellent patron tomba malheureusement malade et mourut tragiquement. Son successeur, un jeune suisse-allemand, n’avait pas le même goût du métier, c’était un pur gestionnaire et sa machine de photocomposition, pourtant récente, était déjà dépassée.

Entre-temps, la rédaction s’était modernisée. Grâce à un bon programme de mise en page, nous avions des illustrations, la capacité de mettre en évidence des citations, d’insérer des lettrines, de rendre la lecture plus attractive. Les lecteurs réagirent rapidement et le nombre des abonnés monta en flèche. Je me souviens que lors d’un passage à Rome, le Supérieur général, le Père Arrupe sj, fit remarquer aux confrères de l’Orientierung combien la petite sœur francophone était plus attirante que l’austère bimensuel zurichois. Ce n’est pas sans raison que notre aînée disparut plus vite que nous. Notre service de promotion faisait aussi des merveilles, notamment lors du Salon du Livre de Genève où nous tenions un stand très fréquenté par nos abonnés.

Fiorina pour trente ans

Nous en étions là, lorsque André Fiorina, qui avait repris la gestion de l’imprimerie familiale, me fit part de ses problèmes lors d’une rencontre de famille. Il avait hérité de machines qui remontaient pour certaines au grand-père. Il fallait d’un coup changer l’ensemble du système, mais lequel choisir? Il y avait de multiples offres sur le marché mais aucune ne pouvait se targuer d’une expérience décisive. Or se tromper dans le choix pouvait conduire directement à la faillite. J’avais pu le constater avec mes imprimeurs genevois. Il me fit une proposition de collaboration.

J’en fus surpris. J’avais tout fait pour être à proximité de l’imprimeur et j’aimais m’y rendre à vélo. Pour Sion, c’était râpé. Mais l’électronique ignore les distances. Lors de la correction finale, nous étions six, quand les triples relectures étaient achevées, il suffisait d’envoyer le tout aux Roches Brunes d’un clic de souris. C’était alors à nos amis sédunois de s’arracher les cheveux. Je crois qu’André a passé plus d’une nuit blanche quand, tout à coup, un changement de virgule bousculait l’ensemble du numéro. Ce sont les joies de l’informatique! Mais, en fait, tout a marché dès le premier numéro, et pendant trente ans. C’était rapide, plaisant et moins cher.

C’est une période de trente ans qui achève avec la fin de choisir, et une période de quatre-vingts ans de collaboration entre les jésuites suisses et l’imprimerie sédunoise des Fiorina. Qui sait? Peut-être l’avenir nous réservera-t-il des surprises?

Auteur:

Né en 1941, entré chez les jésuites en 1961, spécialiste de l’Histoire de l’Église, était engagé comme directeur spirituel au Séminaire diocésain du Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg et au Séminaire diocésain de Sion. Le Père Fellay a été rédacteur en chef de la revue culturelle choisir, directeur du centre interdiocésain à Fribourg, professeur à l'Institut Philanthropos et responsable du programme de formation du domaine de Notre-Dame de la Route à Villars-sur-Glâne.

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