• Liz Truss © United Kingdom Open Government Licence v3.0.

L’héritage détourné des «valeurs familiales»

Le décès de la reine Élisabeth occulte quelque peu l’événement qu’elle a vécu deux jours avant sa mort, l’adoubement de Mme Liz Truss, la nouvelle «premier(e) ministre» de sa Gracieuse Majesté. Le correspondant à Londres d’un journal de Genève détaillait, lundi 5 septembre 2022, la personnalité de Mme Truss. Le journaliste du Temps souligne trois points qui ont pu échapper aux commentateurs du Continent.

1°) Liz Truss s’est présentée comme une nouvelle «Mme Thatcher», la dame de fer des années 1979 à 1990, dont le Royaume Uni d’aujourd’hui aurait besoin en ces temps de crise; en fait, Mme Truss n’a enfilé la tenue de la dame de fer que pour se faire élire par la frange la plus angoissée du Parti conservateur.

2°) En réalité, cette apparence de dame de fer est trompeuse, car Liz Truss tient davantage de la girouette que de l’acier trempé: ancienne militante antimonarchiste, elle combat aujourd’hui dans le camp ultraconservateur. Sa vieille idéologie de gauche a laissé place à des positions ultralibérales. Naguère opposée au Brexit; elle le cautionne aujourd’hui avec détermination, sinon avec conviction. Opposée, il y a peu à tout bouclier tarifaire pour épargner aux consommateurs une hausse trop violente des prix, elle promet aujourd’hui le contraire.

3°) Elle n’a été désignée que par une frange minoritaire –la plus conservatrice– de son propre parti (cent septante mille partisans seulement); ce qui est fort loin de représenter la majorité des Britanniques. Avec bon sens, le journaliste du Temps de Genève en conclut que ce goût de l’adaptation peut lui servir dans une conjoncture économique et sociale britannique particulièrement chahutée par la crise.

Dans l’article qui rappelle tout cela, j’épingle une formule étonnante. Plus exactement, l’étonnement du journaliste m’étonne. Il écrit: «Élevée dans une famille de gauche, elle (Mme Truss) se présente aujourd’hui comme une vraie héritière de la Dame de fer.» Comme si les enfants devaient nécessairement épouser les options politiques de leurs parents! Nombreux sont les exemples contraires. Les déplacements d’opinion politique sont allés dans tous les sens. Pour ne citer qu’un exemple historique, emblématique il est vrai, Charles Maurice de Talleyrand Périgord a servi tous les régimes politiques, depuis celui du roi Louis XVI jusqu’à celui du roi Louis Philippe en passant par la Convention révolutionnaire, le Consulat et l’Empire napoléonien.

Pendant longtemps, cette argument de la transmission quasi mécanique de l’idéologie des parents a servi contre le sentiment religieux, expliquant avec condescendance que si j’étais croyant, c’était simplement pour chausser les sabots de mes parents.

Cette explication des croyances par l’environnement familial oubliait les démarches inverses, toujours possibles et, nous le constatons, beaucoup plus nombreuses. Certes, je ne peux choisir un mode de vie, une option politique ou religieuse autre que celles de ma famille que si cette option différente me vient à l’idée par des paroles, par des écrits, ou par des exemples étrangers à mon milieu. Je ne peux pas choisir ce dont je n’ai aucune idée. Et dire simplement que «quand je serai plus grand, je choisirai librement mon travail, mon parti politique ou ma religion», c’est une insulte si l’on ne me donne jamais l’occasion de rencontrer les options différentes de celles de mon milieu familial.

Si, comme le rapporte certains médias «Liz Truss séduit les bastions ouvriers du Nord de l’Angleterre», cela prouve au moins que la girouette –si girouette il y a– n’a pas tout à fait oublié le terreau familial et social où elle a grandi. Mais pourquoi devrait-elle nécessairement l’oublier?

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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