Lettre de Noël de feu l'évêque Boruta à un garçon servant dans l'armée soviétique

Avant même de devenir prêtre, Jonas Boruta -qui vient de  nous quitter- écrivait des lettres pour soutenir les garçons servant dans l'armée soviétique. Nous publions l'une d'entre elles, écrite le jour de Noël 1981 (nous ne mentionnerons pas le destinataire). À cette époque, l'armée avait l'habitude de vérifier les lettres de ceux qui étaient dans l'armée, alors ils essayaient d'écrire indirectement, sans mentionner de noms spécifiques, de noms de famille, ou même le nom de Jésus ou du Christ. La "soirée de concentration à Mikalojus" mentionnée dans la lettre était probablement une retraite de l'Avent à Vilnius. Il est probable qu'il s'agisse d'un avènement à l'église Saint-Nicolas. Elle était sans doute dirigée par le Père Jonas Lauriūnas sj. Juozas Tunaitis invitait le Père Lauriūnas à diriger des retraites presque chaque Avent et Carême. La lettre a plus de 40 ans, mais ses réflexions sont toujours d'actualité.

Cher...

Des vœux de paix et de joie pour Noël, même si le monde actuel n'est pas très gai.

Ce sont vos premières vacances loin de chez vous, loin de vos proches... Je ne peux pas imaginer pleinement votre état d'esprit aujourd'hui… cela ressemble peut-être un peu à mon premier Noël dans l'armée... Mes camarades et moi faisions notre premier mois de service. Nous n'étions pas encore acclimaté, pas habitué, et il faisait froid. Je me souviens que j'avais un rhume. Mais le matin de Noël avait tout de même été merveilleux. Les alentours -bien que peu attrayants- étaient couverts de givre blanc ce matin-là. Et quand le soleil s'est levé, le spectacle était magnifique. Et même si ce jour n'avait rien de très doux, le cadeau de Noël était si précieux qu'aujourd'hui encore, quand j'y repense, je me dis que ce Noël a été l'un des plus beaux de ma vie.

Noël est un tel jour de joie enfantine qu'un simple petit rayon de lumière peut se transformer en pure source de bonheur... Même dans les pires conditions, même dans la plus grande confusion, un seul souffle, une seule pensée qui s’envole suffit à nous plonger dans le calme et la sécurité. Car c'est le jour où le Père a montré une si merveilleuse attention pour chacun d'entre nous... Il a donné son Fils unique afin que, par lui, nous devenions enfants du Père, partageant sa nature… Ainsi, tout ce qui est, et donc nous aussi, est en Lui, vivant et en mouvement; plus encore qu'un poisson dans l'eau, nous sommes en Lui... Et pourtant, comme il nous est difficile de comprendre, de ressentir... Il est si différent de nous, si grand, si infini... En mathématique, on essaie de contourner les éléments dont la fonction est infinie. Notre esprit n'est pas infini, et, par conséquent, tout infini que notre esprit ne saisit pas nous est étranger...

Et voilà que le véritable Infini Lui-même, désireux d'être proche de nous, comprenant notre faiblesse, s'humilie au point de se limiter, de se renfermer dans le petit cœur fragile de l'Enfant! Oh, comme ce Bébé est merveilleux. Alors que tous les autres bébés commencent leur vie en criant, en demandant des soins, de la chaleur pour eux-mêmes, Lui, dès le premier instant, brûle du désir d'aider les autres - d'aider chacun de nous, de réchauffer chacun de nous, de serrer chacun de nous contre son Cœur. Et aujourd'hui, le Cœur de l'Enfant, uni à ce Grand Infini, est partout, battant d’amour, toujours près de nous, veillant sur nous, frappant à la porte de notre âme. Notre vie entière est immergée en Lui, surveillée par Lui avec amour et attention. Il ne s'agit pas seulement de l'Absolu, de la Grandeur Infinie, que nous ne pouvons pas saisir avec notre esprit, mais du Cœur véritablement humain, compréhensible d'un Ami, d'un Frère... Nous ne sommes pas entre les mains de forces qui nous sont étrangères, mais entre des mains aimantes... Nous ne sommes jamais et nulle part oubliés... Inutile de paniquer, de faire son deuil passivement...

«Voici la nuit de la plus grande exaltation de l'homme, où commence la véritable grandeur de chaque homme. Le Fils éternel est né, et par cette naissance nous sommes tous faits enfants du Père éternel, et nous nous exclamons avec lui: "Abba, c'est-à-dire Père!". Ce bouleversement est à l'origine de la joie de Noël. Et cette joie est la joie de tous: des sages et des roturiers, des excellences et des ministres, des familles et des solitaires - c'est la joie des enfants de Dieu.» (Jean-Paul II).

Qu'est-ce que cela signifie pour notre vie quotidienne? Pour alimenter votre réflexion, je vais vous raconter une histoire que j'ai entendue un soir d'avant Noël à Saint-Nicolas:

«Un botaniste rassemblait des plantes rares dans les montagnes pour sa collection. Il était accompagné de son jeune fils. Il avait déjà récolté de nombreuses plantes intéressantes quand il vit, en contre-bas de la pente abrupte d’une gorge, la plante la plus rare et la plus précieuse qu’il soit. C’était le dernier jour de l'expédition...  Mais comment y accéder? (…) Le père attachat une corde d'escalade autour de son fils et le fit descendre dans le gouffre. La précieuse fleur fut cueillie. Le père tira joyeusement son fils en arrière. Les deux étaient heureux... Le père demanda à son fils: "Tu n'as pas eu peur ?" "Non, papa, parce que je savais que tu me tenais, que tu ne me lâcherais pas, parce que tu m'aimais... »

Notre vie peut ressembler à celle de l'enfant précipité dans l'abîme... Mais le Père ne nous laissera jamais tomber... Il nous aime... à moins que nous ne nous entêtions à couper le cordon nous-mêmes... Mais même alors, si nous sommes encore en vie, Dieu nous tendra une main secourable. Même Judas, après sa trahison, aurait pu être sauvé...

L'ancienne traduction de la devise de Noël était: «Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté». La nouvelle dit: «Paix sur la terre aux hommes que Dieu aime». Non seulement cette traduction correspond mieux à l'original, mais elle saisit mieux l'essence de la joie de Noël...
Nous ne sommes donc pas seuls, nous ne sommes pas oubliés... Nous sommes aimés...

De belles et nobles pensées en cette période de fêtes!
Jonas

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