• Métropolite Hilarion @ Université de Fribourg

Les effets collatéraux, culturels et cultuels, de la guerre en Ukraine

Dans mon blog du 5 mars 2022 paru sur le site de la revue Études (Paris), je rappelais les dommages collatéraux culturels et les «effets de langage» de la guerre portée en Ukraine par le Maître du Kremlin.

Compensés symboliquement par les concerts donnés au profit des populations ukrainiennes sinistrées et par le déploiement tous azimut de drapeaux ukrainien, les dommages culturels se comptent à l’annulation d’un grand nombre de spectacles impliquant la Russie ou des artistes Russes; à quoi s’est ajoutée la démission d’artistes se produisant en Russie, et de Russes œuvrant en Occident. Dommages culturels encore que sont la suspension de recherches spatiales dont la Russie était partie-prenante, sans parler d’échange de chercheurs de divers laboratoires…

S’il a été facile pour les responsables occidentaux de décider d’actions symboliques sans grande portée économique ou diplomatique décisive, il leur a été manifestement plus onéreux de couper des relations fructueuses, au point que la Tribune de Genève a titré, le jeudi 10 mars 2022: «Le malaise des universités face à leurs partenaires russes - Les hautes écoles suisses hésitent à suspendre leurs collaborations avec des universités russes. En cause: le soutien de leurs recteurs à l’invasion de l’Ukraine

Appeler un chat un chat !

Outre les dommages collatéraux d’ordre culturel, les «effets de langage» ne s’en sont pas moins faits sentir. Toute guerre, depuis toujours, s’accompagne en effet d’une guerre des mots. Depuis quelques années, dans plusieurs pays de l’Ouest de l’Europe, il faut –sous peine de sanctions judiciaires– appeler un chat un chat, l’élimination des Arméniens par les Turcs durant la guerre de 1914 un génocide, de même la confrontation entre ethnies du Rwanda. Dans le cas présent, selon l’Organisation des Nations-Unies, il convient de nommer l’invasion de l’Ukraine par la Russie une guerre (et non pas un conflit ni offensive militaire). La directrice du Centre régional d'information pour l'Europe occidentale de l’ONU (UNRIC), s’est ainsi fait rappeler à l’ordre pour avoir malencontreusement envoyé cette injonction: «N'employez pas le terme guerre, et utilisez “conflit” ou “offensive militaire”, et non pas “guerre” ou “invasion” lorsque vous faites référence à la situation en Ukraine.» (Bruxelles, lundi 7 mars 2022). Certes, ce langage n’allait pas jusqu’à adopter le terme «opération militaire spéciale» utilisé par le Kremlin, mais il était manifestement inadéquat.

À la frontière entre les dommages collatéraux culturels et les «effets de langage» provoqués par la guerre en Ukraine, j’épingle un effet cultuel dans l’événement qui a marqué la faculté de théologie de l’Université de Fribourg (Suisse) voici quelques jours. La semaine passée (2 mars 2022), le doyen a demandé à un professeur titulaire, le Métropolite Hilarion qui est aussi directeur du Département des relations extérieures ecclésiastiques du Patriarcat de Moscou, de condamner publiquement et solennellement l’invasion russe en Ukraine. Position délicate du professeur puisqu’il est représentant d’une Église russe inféodée au pouvoir politique. (Le Patriarche Cyrille de Moscou, par deux fois, au cours de cérémonies liturgiques -confondant l’autorité religieuse et le pouvoir politique- a en effet soutenu publiquement l’invasion russe.) Le susdit professeur, n’a manifestement pas pu trouver les mots justes qui ne soient pas juste des mots. Il a été suspendu de sa charge mardi dernier, 8 mars 2022.

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À lire également sur le site de l'agence cath.ch, les explications de l'Université de Fribourg sur la "suspension" du métropolite Hilarion -Fribourg: le Métropolite Hilarion a démissionné de lui-même - qui tient à spécifier que le Métropolite Hilarion a démissionné de lui-même: «Le discours du doyen de la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg sur la «suspension» du métropolite Hilarion, qui donne l’impression d’une mesure active, ne correspond pas à la situation de fait à plusieurs égards», relève la professeure Barbara Hallensleben. En raison de la situation juridique et de la prise de position du métropolite, [dans laquelle il présente formellement sa démission (NDLR)], un acte juridique de «suspension» de la chaire de titulaire n’était notamment pas nécessaire, précise-t-elle.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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