Un article paru dans Le Figaro du 23 avril dernier déplorait que «la Banque de France et la Cour des comptes se comportent comme de vulgaires influenceurs». Le Premier président de la Cour des comptes répondait le mois suivant dans une livraison du même journal. Le contexte était le suivant: la Cour des comptes avait été accusée d’avoir volontairement retardé la publication d’une analyse du coût financier de l’immigration illégale, juste au moment où la question était débattue à l’Assemblée nationale. Le représentant suprême de cette Cour ne répondait pas directement à l’accusation d’influenceur, mais rappelait les principes constitutionnels et législatifs, ainsi que les pratiques de transparence qui justifient, depuis deux siècles, cette institution centrale de la démocratie française.
Interface entre l’Assemblée et le gouvernement, la Cour des comptes (avec ses extensions régionales et sectorielles) est l’organe qui permet, selon l’article phare de la Déclaration de 1789, aux citoyens de contrôler le bon usage qui est fait des prélèvements obligatoires. C’est «une vigie, au service du citoyen» qui favorise donc, souligne son défenseur, le ‘consentement à l’impôt’. Consentement d’autant plus nécessaire en ces périodes politiquement troublées, que
«l'état de nos finances publiques figure parmi les plus dégradés jamais enregistrés».
Je ne peux qu’être d’accord avec ces principes, et je saluts les efforts de transparence de cet organe public. Cependant, je ne peux que consonner, sinon avec les ricanements de certains Internautes, du moins avec certaines de leurs interrogations provoquées par le défenseur suprême de cette institution. J’en épingle trois suscitées par la question: pourquoi la Cour des comptes est-elle présidée par un homme politique? La réponse donnée par le Premier président est la suivante: «Le Premier président de la Cour des comptes est le seul à incarner l’institution. Il a besoin d’être à la fois expérimenté dans l’action publique et capable de toucher le grand public. C’est pourquoi il est pratiquement toujours un ancien homme politique, redevenu impartial en prenant ses fonctions.»
Chacune des phrases de cette citation mérite correction. D’abord le Premier président n’est pas le seul à ‘incarner l’institution’. Tous les membres de la Cour des comptes incarnent l’institution dans laquelle ils coopèrent. Ensuite, si sa fonction est, entre autres choses, de ‘toucher le grand public’, il ne peut reprocher à l’auteur de l’article incriminé de le considérer comme un influenceur. Enfin, il est cocasse de lire que ‘ancien homme politique, il est redevenu impartial en prenant ses fonctions’. Ce n’est pas vraisemblable; sauf à voir ici un miracle semblable à celui dont bénéficia saint Thomas More, Chancelier de l’Échiquier, nommé chef de l’Église d’Angleterre par le roi Henri VIII, et qui sût être ‘autonome et indépendant’ du pouvoir, selon ce bel idéal visé par la Cour des comptes. Je ne vois pas le Premier président de cette Cour française mourir, comme Thomas More, martyr de l’autonomie et de l’indépendance. D’autant plus que le titre de sa réponse au journal incriminé est la suivante : «La Cour des comptes n’est pas la cour des miracles (celle où les faux éclopés maquillés pour attirer la pitié des gens charitables, quittaient leurs simulacres).»