Le rôle des diplomates

Pour plagier Clausewitz –tout en inversant sa formule– la politique est la guerre poursuivie par d’autres moyens. Toutes les guerres ont une fin, mais, après avoir gagné la guerre, encore faut-il gagner la paix. C’est là où le rôle des ambassades devient crucial. En témoigne l’actuel ambassadeur de France auprès de l’ONU en poste à Genève, qui vient de faire paraître un livre intitulé Diplomate pourquoi faire? À cette question, il répond que «la diplomatie est un théâtre et le diplomate un acteur». C’est parfaitement exact.
À l’époque où la France pouvait encore rivaliser avec l’Allemagne quant à la production industrielle, à l’excédent commercial et au niveau de vie des habitants, à l’époque où la France construisait le TGV et couvrait le pays de centrales nucléaires et cherchait à les vendre à l’étranger –je veux dire voici cinquante ans exactement, au début des années septante– le Président Pompidou évoquait le rôle des diplomates: ils ne sont pas payés, disait-il, pour faire des ronds de jambe dans les salons des ambassades tout en mangeant des petits-fours; les temps ne sont plus où le leitmotiv des relations diplomatiques se résumait dans ce slogan «il est urgent de ne rien faire»; ils sont payés pour promouvoir les produits et les services français.

Pendant des siècles, ces produits et ces services à promouvoir ne se présentaient pas d’abord dans leur aspect économique, comme ils le sont devenu au milieu du siècle dernier; mais il s’agissait principalement des pouvoirs politiques et des alliances militaires. En fait, qu’il s’agisse d’économie ou de stratégie géopolitique et militaire, dans tous les cas, il fallait –et il faut toujours– promouvoir l’image du pays. Et, pour cela, tout était bon. L’art diplomatique était avant tout l’art de faire croire. Il l’est resté; même si les enjeux ne sont plus les mêmes.

Cet art de faire croire, qui fait jouer finement le pouvoir et la menace, consiste à mettre en valeur le pouvoir potentiel du pays et la détermination du gouvernement à mobiliser toutes ces capacités. Le but étant de convaincre ses partenaires que l’on possède plus d’atouts cachés qu’il ne peut l’imaginer. Comme disait Kissinger, le secrétaire d’État américain sous le Président Nixon, en reprenant le constat de Metternich au Congrès de Vienne de 1815, le pouvoir est la capacité de rendre incertain l’avenir de son partenaire, et pour cela, il faut détenir davantage d’options que lui – ou le lui faire croire.

À défaut de pouvoir réel, il suffit de faire semblant qu’on le possède. Là intervient le diplomate. Lorsqu’on agite une menace, il faut qu’elle soit crédible. C’est sans doute la raison pour laquelle maints diplomates pensent que la menace nucléaire agitée par la Russie n’est pas crédible (pas moins cependant que ses protestations du moins de janvier dernier de ne pas envahir l’Ukraine); et lorsqu’on fait miroiter les avantages d’une alliance, il faut donner l’impression que l’on pourra y apporter son dû.

L’image, la crédibilité, ne passe pas simplement par la notoriété personnelle du diplomate (comme scientifique ou comme littérateur– je pense à des ambassadeurs tels que Pablo Neruda, Claudel ou Saint John Perse) elle passe au premier chef par la rhétorique. La rhétorique, cet art de convaincre venu de la démocratie athénienne, ne se réduit pas au ‘cant’ diplomatique, c’est à dire à la boursouflure des propos qui cache l’absence de pensée ou de conviction des interlocuteurs. La rhétorique s’incarne dans le rôle joué par le diplomate.

Oui, comme le rappelle l’ambassadeur français à Genève «la diplomatie est un théâtre et le diplomate un acteur». Reste pour l’acteur à bien connaître son rôle, à sentir son public et à ne jamais oublier que l’acteur est au service de l’Auteur, je veux dire de la paix, sous le regard d’un public incarné par les intérêts de son pays.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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