«Nous avons beaucoup à apprendre du dialogue avec la Chine» estime le Père Rothlin sj. Dans cet entretien, il explique pourquoi l’éthique économique est parfois mieux considérée en Chine qu’en Europe, et ce que l’actuel conflit commercial et douanier peut nous révéler sur les relations internationales.
Depuis 27 ans, le Père Rothlin vit en Chine. Il dirige l’Institut Ricci de Macao, dédié au dialogue international, et enseigne à Pékin, Hong Kong et Macao. Il cherche à dépasser les jugements souvent négatifs portés sur la politique économique chinoise.
“Aller là où le dialogue menace de rompre”
Père Rothlin sj, dans un contexte mondial où de nombreux pays se replient sur eux-mêmes, vous défendez depuis des décennies le dialogue international. Qu’est-ce qui vous motive encore ?
« Il y a toujours eu, et il y aura toujours, des tensions dans la politique mondiale. Ce qui m’intéresse, c’est de rechercher le dialogue à travers ces tensions, notamment avec les grandes traditions de sagesse. En Chine, cela inclut le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme. Cette démarche s’inscrit dans la tradition jésuite : aller là où le dialogue est menacé, et y voir une opportunité de réconciliation. »
Qu’est-ce qui relie les gens au-delà des frontières nationales, culturelles et religieuses ?
« Ce lien se manifeste dans la vie quotidienne. Ne pas parler la langue crée une barrière; la parler ouvre un autre regard sur l’autre. Ce qui nous unit, c’est la confiance. Elle est essentielle dans toutes les relations humaines, y compris professionnelles. Ce besoin de confiance est universel. »
De l’importance de l’estime sincère
Comment instaurer ou renforcer cette confiance ?
« Par une estime sincère. Je me souviens, au début de mon apprentissage du chinois, on m’a donné un vélo rouillé que je pensais irréparable. Or, au coin de la rue, un réparateur me l’a remis en état en quelques secondes, sans aucun problème.
Les gens perçoivent rapidement si vous arrivez avec arrogance. Dès le départ, j’ai eu beaucoup d’estime pour la culture chinoise. On apprend partout: pas seulement à l’université. Mais savons-nous vraiment écouter ? »
“Chercher dans les conflits commerciaux une voie commune”
Voyez-vous des signes d’espoir pour un retour à plus de coopération ?
« Je ne prône pas un optimisme naïf. Le cloisonnement actuel et les politiques tarifaires vont dans le mauvais sens. Mon rôle est d'engager le dialogue avec mes étudiants à l'université et dans les écoles de commerce et de trouver des arguments – non pas sur le plan personnel, mais structurel – pour expliquer pourquoi nous devons trouver une voie commune malgré toutes nos différences.
C’est là que j’entrevois l’espoir : dans la prise de conscience que le dialogue est possible, voire indispensable. Et si nous entrons dans une guerre commerciale, ce ne sont pas les élites qui en souffriront, mais les consommateurs lambdas, notamment américains. »
“L’éthique au cœur de l’économie”
Peut-on sortir de la logique du « toujours plus » en économie ?
« Il y a 40 ans déjà, on critiquait en Allemagne la foi aveugle dans la croissance. En Chine, cette croyance était encore très forte il y a 20 ans. Mais les conséquences sont visibles : pollution, inégalités… Aujourd’hui, on voit émerger une prise de conscience : cette logique n’est plus tenable. »
Cette conscience éthique progresse-t-elle vraiment en Chine ?
« Alors que les États-Unis, sous Trump, renoncent à leurs engagements en matière d'éthique environnementale, la Chine y voit une opportunité d'être perçue comme un partenaire sérieux dans ce domaine. Un changement de mentalité est en cours. En Chine, l'éthique économique est prise davantage au sérieux qu'en Europe.
Récemment, de nouvelles dispositions ont été prises pour intégrer davantage ce que l'on appelle « l'éthique appliquée » dans l'enseignement. Cela ne signifie pas que tout est parfait – le charbon reste un défi – mais l’évolution est réelle. Il est dans l'intérêt de la Chine que les entreprises chinoises soient perçues comme respectueuses de l'éthique économique, en particulier dans les pays où la législation n'est pas aussi stricte. »
“En Chines, les entreprises aussi motivées par autre chose que le profit”
Pourquoi certaines entreprises intègrent-elles davantage l’éthique ? Qu’est-ce qui les motive ?
« La maximisation du profit n’est plus une finalité suffisante. La guerre commerciale catastrophique actuelle montre les limites de cette logique.
Il faut des valeurs éthiques, mais pas seulement des lois : celles-ci peuvent être trop facilement contournées. La pression des consommateurs et des mouvements de consommateurs, tout comme les prix et distinctions récompensant les entreprises pour leur comportement éthique peuvent aussi jouer un rôle cet égard.
Nous remettons par exemple un “Deignan Award for Responsible Entrepreneurship” à des PME de Hong Kong et Macao. Parmi d’autres possibilités, nous avons opté pour l’organisation de cours d’éthique appliquée à l’École centrale du Parti. De telles manifestations sont un signal important qui montre que l'éthique ne s'applique pas seulement à certains groupes, mais qu'elle devient de plus en plus la norme. »
Ce que l’Europe peut apprendre de la Chine
Avons-nous, en Europe, des choses à apprendre de la Chine en matière économique ?
« Absolument. Les Chinois connaissent souvent bien mieux l’Europe que l’inverse. La Chine est encore trop marginale dans les débats académiques occidentaux, notamment la philosophie chinoise. Cela peut changer si nous réalisons tout ce que nous pouvons apprendre beaucoup de la Chine.
Prenons l’éthique confucéenne : c’est une éthique laïque, centrée sur des valeurs fondamentales comme l’intégrité, la sincérité, la décence. En Europe, où le religieux ne peut plus être le seul vecteur de réflexion éthique, cette approche peut nous inspirer. »