• Le jésuite suisse Stephan Rothlin habite la Chine depuis 25 ans © SJ-Bild/CélineFossati
  • Statue de Matteo Ricci (1552-1610) à Macao - mars 2014© SJ-Bild/Christian Ende
1 / 2

«En tant que catholiques en Chine, nous sommes particulièrement observés»

Le jésuite suisse Stephan Rothlin, directeur de l’Institut Ricci de Macao, vit depuis 25 ans en Chine, un pays qu’il a appris à connaître. Parmi les valeurs des Chinois qu’il dit apprécier, il cite l’esprit pragmatique et entrepreneurial qui leur permet de regarder vers l’avant. C’est cette même appréciation qu’il pose sur l’accord Vatican-Chine.

Lire également l'entretien de Stephan Rothlin sj par Jacqueline Staub sur kath.ch: Stephan Rothlin: «Menschen in Taiwan wollen am Status quo festhalten» - «Les gens à Taiwan veulent s'en tenir au statu quo».

L’accord signé -en 2018 et pour deux ans- entre le Vatican et la Chine concernant la nomination des évêques chinois est souvent critiqué dans le monde catholique. Certains avancent qu’en l’entérinant en 2020, puis à nouveau en 2022, le Vatican se soumet au diktat chinois et abandonne à son sort une frange de l’Église chinoise. D’autres disent que la diplomatie du Vatican fait preuve de naïveté. La polémique a rebondi en mai de 2022, suite à l’arrestation à Hong Kong du cardinal Zen, qui avait lui-même qualifié cet accord de trahison. La rédaction de cath-info a interrogé à ce sujet le Père Stephan Rothlin, lors de son passage à Genève, fin mai 2023.

Le Vatican aurait-il signé cet accord un peu légèrement, sans avoir toutes les cartes en mains?
Stephan Rothlin: «Le Vatican est parfaitement au courant de ce qui se passe en Chine. Je crois que c’est en toute humilité et en dépit des risques, dans l’esprit du dialogue initié avec la Chine au XVIe siècle par le jésuite missionnaire italien Matteo Ricci, que le Vatican s’est embarqué dans cette aventure. Matteo Ricci d’ailleurs a été déclaré «vénérable» l’an passé par le pape François pour avoir su, notamment, établir un pont entre la Chine et l’Occident. C’était déjà une aventure pour Ricci, et ça l’est encore pour le Vatican. Avec la Chine, c’est toujours plein de surprises.»

Cette politique diplomatique du Vatican vous paraît donc sensée?

«Oui, en tant que directeur de l’Institut Ricci de Macao, je soutiens pleinement l'accord Vatican-Chine. Il faut être réaliste et prendre en compte l’histoire complexe des relations de la Chine avec l’Église, tout en regardant en avant. Il faut continuer à échanger. C’est dans cette vision de disponibilité et d’écoute que s’inscrit la récente visite en avril du cardinal Stephen Chow sj, évêque de Hong Kong, à l’évêque de Pékin Joseph Li Shan, président de l’Association patriotique des catholiques de Chine [une première depuis 1985: ndr].  Elle indique le rôle de pont que peut jouer l’Église de Hong Kong dans le dialogue Chine-Occident.»

Le statut de «région administrative spéciale» de Hong Kong voit depuis quelques années une sévère reprise en main politique, sociale et économique par Pékin. La marge de manœuvre de son Église n’est-elle pas compromise?
«Malgré ces tensions, Hong Kong et Macao restent des portes vers la Chine. D’ailleurs les Hongkongais se considèrent Chinois, même s'ils sont perçus comme des étrangers en Chine continentale. Cette rencontre en temps de crise entre les deux évêques est à mes yeux un pas positif et novateur. L’évêque émérite de Hong Kong, le cardinal Zen, avait une vision très noire, mais il s’agit de ne pas tomber dans la déprime, de ne pas rompre le dialogue.»

L’accord Vatican-Chine est reconduit tous les deux ans. Cela laisse au Vatican la possibilité de se retirer en cas de nouveau problème avec la Chine. Vous évoquiez les surprises que le régime Chinois réserve souvent à ses partenaires. Ne devrait-on pas plutôt les qualifier de prises de décisions arbitraires?
«Je parlerai plutôt d’ambiguïté. Une décision peut être vue comme un progrès, mais des problèmes se révéleront par la suite. Il ne s’agit pas d’être optimiste mais réaliste. Sous la surface d’une chose, se cache toujours autre chose avec les Chinois. Rien n’est acquis. Faire confiance aux Chinois comporte toujours un risque, mais savoir prendre un tel risque est utile si on veut entrer en dialogue avec eux, car ils apprécient notre confiance. Le pape Benoît XVI est d’ailleurs très estimé en Chine pour sa lettre d’amitié aux catholiques chinois du 27 mai 2007.

La confiance se donne difficilement en Chine, et c’est pour cela que sa population accepte de vivre dans une société hyper contrôlée, qui lui donne un sentiment de sécurité. Les Chinois ont en mémoire les malheurs résultants des conflits entre les seigneurs de la guerre des Royaumes Combattants (481/403-221 av. J.-C.) et les deux siècles de chaos qui en ont résulté. Avoir un chef bien déterminé est donc pour eux synonyme de sécurité. Et c’est dans ce cadre que les Chinois acceptent des limites à leur liberté individuelle. On l’a vu pendant le covid.»

«La confiance se donne difficilement en Chine, et c’est pour cela que sa population accepte de vivre dans une société hyper contrôlée, qui lui donne un sentiment de sécurité. »

Depuis ce mois de mai 2023, un système de vérification en ligne de l’identité des religieux musulmans, catholiques et protestants a été activé pour «maintenir l’ordre religieux». Ce contrôle n’est-il pas un retour en arrière?
«Il s’inscrit en fait dans une très longue tradition politique héritée des dynasties impériales chinoises. Les premiers missionnaires en Chine avaient déjà besoin d’une attestation de l’administration de l’empereur pour rester en Chine.

En plus, les Chinois ont vécu des expériences traumatiques et à grande échelle du potentiel destructeur des religions. Cela les a consolidés dans l’idée qu’il faut contrôler les religieux. Je pense en particulier à la rébellion de Taiping au milieu du XIXe siècle. Elle était menée par Hong Xiuquan, un fanatique religieux qui avait fréquenté les missionnaires catholiques et qui se considérait comme le second fils de Dieu envoyé sur Terre pour sauver la Chine. Son mouvement politico-religieux a conquis des millions de sujets et menaçait la dynastie Qing, qui a fini par le mater. Mais entre-temps plusieurs millions de personnes ont perdu la vie.»

Newsletter

Das Magazin „Jesuiten“ erscheint mit Ausgaben für Deutschland, Österreich und die Schweiz. Bitte wählen Sie Ihre Region aus:

×
- ×