• Image du film "Calvary" de John Michael McDonagh (2014)

Le pardon, le pouvoir sous-estimé du roi

«Tu le dis, je suis roi». Lorsque Jésus prononce ces mots, il n'est pas assis majestueusement sur un trône, mais se tient ligoté devant Pilate, livré par les siens et livré à lui-même. 

Qu'est-ce qui lui donne la force de ne pas désespérer dans cette détresse? Que veut-il dire lorsqu'il dit: «Ma royauté n'est pas de ce monde»? Et quelle est cette vérité pour laquelle il est venu témoigner? Qu'est-ce qui caractérise cette vérité qui n'est pas effacée par la souffrance et la mort, mais qui est révélée par elles dans toute sa force à tous ceux qui peuvent et veulent la voir?

«Je trouve que le pardon est gravement sous-estimé», déclare le Père James dans le film dramatique irlando-britannique Calvary (2014). Aucune figure sacerdotale ne m'a autant touché et inspiré ces huit dernières années que cet ecclésiastique incarné par Brendan Gleeson, que nous avons le plaisir d'accompagner dans son chemin de croix de sept jours.

«Je vais vous tuer parce que vous n'êtes pas coupable», s'entend dire le Père James au confessionnal par un homme qui a été abusé pendant des années par un prêtre. Celui-ci lui donne sept jours pour mettre de l'ordre dans sa vie avant qu'il ne se rende à la plage le dimanche. Nous sommes témoins de son combat solitaire contre lui-même, le monde et l'Église, dont les souffrances se reflètent dans les personnes qui marquent son quotidien: agnostiques et athées, cyniques et nihilistes, hédonistes et pervers, résignés et irréconciliables, haineux et se haïssant eux-mêmes. Mais ni les moqueries, ni les provocations, ni l'agressivité, ni la haine, ni la violence ne peuvent dissuader le pasteur James de rester à l'écoute de ces personnes. Le fait qu'il ne le fasse pas en super prêtre héroïque, mais dans sa vulnérabilité palpable, éveille en moi, en tant que spectateur, non seulement de l'empathie pour lui, mais aussi pour tous ces gens pour lesquels il est là. Quel contraste avec l'attitude de son supérieur ecclésiastique, qui se couvre avec quelques considérations de droit canonique sur le sacrement de la confession et qui, pour le reste, laisse le prêtre à lui-même.

Deux figures féminines forment un contrepoint à l'univers hostile du Père James. Il y a sa fille Fiona qui, malgré tout son amour, ne lui a pas encore pardonné de l'avoir abandonnée après la mort de sa mère pour devenir prêtre. Et il y a Teresa, une jeune Française qui devient veuve du jour au lendemain pendant leur voyage de noces, lorsque son mari meurt après un accident de voiture avec des jeunes ivres. Par deux fois, elle devient, avec sa foi, un soutien pour le Père James dans les moments de doute. «Ce n'est pas injuste», dit-elle lorsque les deux parlent de la mort absurde de son époux, la nuit, à l'église. «C'est simplement arrivé. Beaucoup de gens n'ont pas une bonne vie et ne ressentent pas d'amour. Ceci est injuste». Et il la rencontre une deuxième fois à l'aéroport, alors qu'il succombe finalement à la tentation de fuir son destin. Il lui demande ce qui va se passer pour elle alors qu'ils regardent ensemble le cercueil de son époux être chargé. Son regard en dit plus long que ses mots:

«Ça continue toujours d'une manière ou d'une autre».

Cette phrase nous est également donnée lorsque, peu de temps après, nous devons digérer le choc de la violence brutale, après que le pasteur James se soit finalement résolu à aller à la plage le dimanche. Là où le regard humain est tenté de s'arrêter sur la terrible fascination de la mort, la foi nous invite à aller plus loin. Car vient ensuite la scène sans doute la plus importante de tout le film, apparement anodine et sans paroles: Fiona rend visite à l'assassin de son père en prison. Elle qui, au dernier moment, s'est réconciliée avec son père au téléphone, décroche maintenant le téléphone dans la prison, ce qui la relie à l'homme de l'autre côté de la vitre. Une nouvelle perspective s'ouvre: La victime, qui est devenue elle-même un agresseur de manière indéniable, rencontre l'offre de pardon et de réconciliation. Ce qui ne lui a pas été accessible en tant que victime lui est offert en tant que coupable. L'homme hésite, mais finit par décrocher le téléphone.

Même pour de nombreux chrétiens, il n’est pas facile de reconnaître qu'en Calvary il s'agit -malgré beaucoup de souffrance, de violence et de mort- avant tout de la foi en la force transformatrice du pardon. C'est la même difficulté qui nous empêche sans doute depuis toujours de reconnaître spontanément le roi dans le Christ enchaîné, frappé et crucifié. Un roi, nous l'associons au pouvoir terrestre. Mais le pouvoir de notre roi n'est pas de ce monde. C'est le pouvoir du pardon, fondé sur l'expérience de l'amour inconditionnel et de la liberté intérieure totale. Et c'est aussi en cela que réside la vérité pour laquelle Jésus est venu témoigner : Que l'amour est plus fort que la violence, que la vie est plus forte que la mort. Elle donne à celui qui semble impuissant le pouvoir de prendre sur lui la violence du monde et de prier en toute liberté:

«Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font» (Lc 23.34).

Le Père James a sans doute raison: le pardon est gravement sous-estimé. Car là où il devient possible, là où il est offert mais surtout accepté, c'est là que la résurrection se produit, que la guérison et la réconciliation deviennent possibles, qu'une nouvelle vie naît, que les choses continuent... toujours d'une manière ou d'une autre.

Retrouvez la version originale en allemand de l'évocation du film par Beat Altenbach sj sur https://beataltenbach.wordpress.com

CALVARY: Official HD Trailer NL/FR

À son propos:

Beat Altenbach SJ

Le Père Altenbach sj vit et travaille à Genève depuis 2020. Il y est est aumônier de prison et prêtre accompagnateur des projets de la pastorale des jeunes. Né à Bâle en 1965, Beat Altenbach sj est entré chez les jésuites en 1996 après des études en chimie à l’Université de Bâle et un doctorat à l’École polytechnique de Zurich dans le domaine des sciences naturelles de l'environnement. Après des études de philosophie à Munich et de théologie à Paris, il a travaillé comme aumônier universitaire à Zurich et à Bâle, et comme directeur du centre spirituel et de formation Notre-Dame de la Route à Fribourg. Il est ordonnée prêtre en 2004.
De 2003 à 2010, il oeuvre en tant qu'aumônier universitaire à Bâle, ainsi que comme directeur de la maison des universitaires catholiques aki à Zürich, puis en tant que directeur du centre de formation et de retraite spiritulle de Fribourg, Notre-Dame de la Route. De 2015 à 2018, responsable de la pastorale des vocations à Fribourg. Beat Altenbach sj s’est engagé dans l'accompagnement et la formation aux Exercices spirituels; il anime des retraites ignatiennes en allemand et en français. Il est un passionné et fin connaisseur de la spiritualité d'Etty Hillesum. Depuis fin 2020, le Bâlois est à Genève où il est le supérieur de la communauté des jésuites en Suisse Romande, qui regroupe les confrères de Fribourg, Lausanne et Genève.

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