• Pontin Su de Pixabay

Mariage pour tous: le droit civil contre le droit canon

Trois juristes bâlois se sont penchés voici deux ans déjà, sur les conséquences pénales, pour les Églises dites «historiques», de l’adoption éventuelle de la loi suisse sur le mariage pour tous lors de la votation du 26 septembre 2021. Selon ces juristes, les Églises de Droit public et/ou leurs ministres qui refuseraient de célébrer de telles unions pourraient se voir sanctionnés pénalement. La raison? L’interdiction de discrimination en vertu de l’extension de la norme pénale antiraciste (CP. art. 261 bis) à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, acceptée dans les urnes le 9 février 2020. En revanche, les communautés religieuses de droit privé, au nom de la liberté religieuse, pensent ces trois juristes, ne seraient pas concernées. (À vrai dire, je ne vois pas pourquoi, puisque la question est ici placée au niveau des droits humains).

S’il ne s’agit pas, pour les trois juristes bâlois, d’une manière de faire pression sur les autorités ecclésiastiques ou sur les électeurs, la question pourra être tranchée, d’une manière fort casuiste j’imagine, par le législateur et les canonistes. Comme on dit «la Cour appréciera».

Je remarque simplement, sur le plan des droits humains universels, que le problème se pose déjà pour l’accession à la prêtrise et aux Ordres canoniques, réservés aux mâles, dans l’Église catholique romaine. Poussant le bouchon plus loin, tombent sous cette contravention les paroisses qui réservent le service de l’autel aux garçons, à l’exclusion des filles. N’est-ce pas là une discrimination visée par l’article 261bis du code pénal. J’imagine volontiers une candidate à la prêtrise ou une fille désireuse de participer à un service liturgique traînant son Église devant les tribunaux.

J’épingle en outre le mot mariage. Lorsque les Révolutionnaires de 1789 ont imposé la célébration à la mairie préalable à toute éventuelle bénédiction religieuse, le mot mariage était sans ambiguïté. Il recouvrait la même chose, les mêmes engagements et les mêmes droits et obligations, à la mairie et à la sacristie. Il s’agissait justement de ne plus accorder de conséquences civiles à un acte religieux. (Ce qui est encore le cas dans de nombreux pays, notamment au Liban où le mariage religieux suffit pour engendrer des conséquences civiles.) Mais, dans la plupart des pays occidentaux comme en Suisse, il n’en va plus de même aujourd’hui. Du coup – et a fortiori – en contraignant sous peine de sanction les Églises historiques à bénir un engagement administratif civil qui peut légitimement ne pas être reconnu comme un mariage au sens religieux du terme, la loi contrevient au principe de laïcité.

La laïcité, en effet, est un principe organique – et non pas une valeur – qui implique non seulement que le pouvoir religieux ne se substitue pas au pouvoir politique (c’était la visée des Révolutionnaires) ; mais il implique également le refus d’une religion d’État (liberté de conscience et de religion oblige, actée par l’article 8 de la Déclaration universelle des droits humains de 1948).

Reste que, dans la plupart des cantons, les Églises catholiques et réformées bénéficient d’un statut privilégié. Ces privilèges ouvrent au pouvoir public la possibilité, le cas échéant, de conditionner cet avantage l’obligation de respecter dans leur fonctionnement interne le droit constitutionnel, dont fait partie l’interdiction de la discrimination (Constitution fédérale art. 8 al. 2).

Même dans ce cas – comme dans tous les cas où des subventions sont accordées à des organismes privés, qu’ils soient d’inspiration religieuse ou non – les juristes ont de quoi aiguiser leurs arguments, en fonction des circonstances de temps et de lieu.

Ainsi, en octobre 2020, à l’unanimité des neuf juges, la Cour suprême américaine a condamné la ville de Philadelphie qui avait rompu le contrat passé avec une agence de placement familial catholique qui refusait l’agrément des couples adoptifs de même sexe rendu (affaire Fulton v. City of Philadelphia). La Cour y a vu une enfreinte à la liberté des cultes garantie par le Ier Amendement. Ce jugement a scandalisé l’un de mes amis qui voudrait faire rentrer à la sacristie les curés, rabbins, pasteur. Mais en transférant la laïcité du domaine des institutions politiques au domaine du vivre-ensemble,  la position de mon ami ne peut aboutir qu’à marginaliser les croyants et les convaincre qu’ils sont des intrus dans la République.

 

 

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