«Le discernement managérial, clé d'un management stratégique?»

À la manière de ces académies des siècles passés qui proposaient aux intelligences du moment de réfléchir sur quelque sujet d’intérêt général, la revue Question(s) de management vient de soumettre le thème suivant à la sagacité des spécialistes en gestion: «Le discernement managérial, clé d'un management stratégique?» Certes, le discernement déborde amplement les problèmes de gestion. C’est pourquoi je l’épingle dans ce blog.

Dans sa plus grande acception, le discernement est l’art de distinguer (le vrai du faux, l’important de l’essentiel, le court terme de la longue échéance, le complexe du compliqué, l’acteur du sujet, les valeurs des préférences, la lettre de l’esprit, la tactique de la stratégie, l’administration de la gestion, le leadership du management, l’objectif de la finalité, le légal du légitime, le moral de l’éthique, le contexte de la motivation, le prétexte de la justification… etc.)

Le discernement est partout.

Du moins partout où il y a de la vie. Le poète Paul Valéry faisait dire au médecin Eraximaque:

«La vie est une incohérence qui fonctionne et un désordre qui agit.» (L’âme et la danse)

C’est pourquoi, spécialement dans sa dimension stratégique, la vie de chacun, et pas simplement celle d’une entreprise, appelle un discernement qui «mette un peu d’ordre» dans le tohu-bohu. Car toute vie affronte des incertitudes et des bouleversements qu’aucun scénario de prospective ne saurait parfaitement supprimer. Pour la ménagère comme pour le manager, la clef de cette vision lointaine (de la stratégie diraient les gestionnaires) est donc d’accepter la solitude, puisqu’aucun expert, aucun impératif, aucune procédure ne peut leur garantir une décision parfaite. Ni la ménagère, ni le manager ne peuvent se décharger sur autrui de leur responsabilité propre avec les risques qu’elle comporte. Aussi, dépourvus de solution venant de l’extérieur, il leur faut regarder vers l’intérieur. Pour ce faire, ils choisiront un objectif qui ait du sens. Du sens pour qui ? Pour elle, ménagère, pour lui manager, bien sûr ! en acceptant – c’est difficile – qu’il n’en soit pas de même pour leur entourage, membres de leur famille ou collaborateurs.  

Cette solitude est difficile à accepter, en témoigne ceux qui, pour mieux décider, se retirent dans quelque monastère, maison de retraite spirituelle ou simplement dans un coin calme d’un jardin public ou de leur résidence. À la manière des premiers moines qui se sont retirés dans le désert d’Égypte (je pense à l’illustre St Antoine, célèbre pour ses tentations qui ont fait le fonds de commerce de tous les peintres attirés par les monstruosités) l’imagination, les angoisses, les scrupules, les passions désordonnées occupent dans cette solitude le terrain vidé de l’activité quotidienne. C’est pourquoi les ‘temps de réflexion’, la solitude, le discernement même, ne sont pas la solution ; ce ne sont que des lieux où se jouent un combat (que les jésuites qualifieraient peut-être un peu vite de ‘spirituel’), le combat dont l’enjeu est de mettre au jour la singularité du responsable.

À son propos:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Membre du conseil de rédaction de la revue choisir  jusqu'à sa fermeture fin 2022, il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013, et sur celui de la Province d'Europe centrale en français depuis sa création en 2021. Conseiller de la rédaction de la revue Études (Paris), le Père Perrot sj rédige deux blogs hebdomadaires: Deux doigts au-dessus du sol et Coup d’épingle. Cet été 2024, il quitte Lyon pour rejoindre Paris

Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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