Je ne résiste pas au plaisir d’épingler pour la faire résonner bien haut une formule chère à Mimi Lempicka, la célèbre costumière venue récemment aux Rencontres 7e art à Lausanne (mars 2024): «Le costume réussi est celui qui ne se voit pas.»
Enfin quelqu’un qui a compris que le costume, tout comme le travail du visage, les décors, les objets mis en scène, la musique, sont au service non pas du renom de l’acteur, du metteur en scène ou de l’accessoiriste, mais au service de la beauté de l’œuvre. L’acteur et metteur en scène Denis Podalydès donnait une analyse semblable concernant l’ajustement des acteurs dans le théâtre comique de Molière (revue Études Paris, mars 2024). Les temps ne sont plus où Louis Jouvet ou La Berma vampirisaient le spectacle.
La beauté, c’est comme la girafe, je ne sais pas la dessiner, mais, lorsque je la vois, je sais bien la reconnaître. Car la beauté se dissipe immédiatement dès que je comprends l’artifice. Ceci est valable pour les visages autant que pour un tableau de maître ou pour un film. Si je distingue le rimmel, les cils allongés, les joues poupines, la position des spots, le jeu trop simpliste des lumières, des ‘plongées’ et ‘contre-plongées’, alors le visage disparaît, et avec lui le mystère fascinant. De la même façon, lorsque, dans une œuvre littéraire, je perçois la manière dont elle fut construite –sans parler de l’idéologie de l’auteur–, quand je vois qu’il veut à toute force me faire accepter quelque chose, je sens la contrainte qui pèse sur moi et me désintéresse de l’œuvre.
L’expérience est particulièrement criante à l’opéra. Lorsque le jeu des solistes ou l’originalité de la mise en scène ne vise que le renom du chanteur ou du metteur en scène, une sorte de déchirure s’accompli et le jugement final tombe banalement dans le ‘oui, c’était bien singulier’, ‘c’était brillant mais guère lumineux’, voire ‘c’étant choquant’ – avec le soupçon que la logique de ces excès n’est que publicitaire ou commerciale. Le pire est lorsque l’artiste s’en vante, prouvant ainsi qu’il ne cherche pas à se soumettre à la beauté, mais à se faire valoir, ou simplement à ‘tirer son épingle du jeu’.
Cette humilité des vraies artistes –Mimi Lempicka en est une, sans aucun doute– est le fruit d’un labeur soutenu. Celles et ceux qui, comme elle, ont atteint une gloire durable et qui n’ont plus rien à prouver, ne sont certes plus soumis(es) aux compromis nécessaires pour courir le cachet. Mais, même en dehors de ces positions enviables, les œuvres de commandes peuvent également être porteuses d’une réelle beauté, de nombreux peintres de la Renaissance l’ont prouvé; et, plus près de nous, dans le domaine littéraire, je citerai Un crime, de Georges Bernanos (que l’on n’attendait pas dans le genre policier, mais qui s’y montra digne de son talent). Mais la vraie liberté de l’artiste celle qui lui fait quitter définitivement les poncifs, les ‘trucs’ qui naguère ont marché, l’académisme où les générations passées découvraient quelque beauté, est, comme écrit le peintre Jean Bazaine, un cadeau offert aux vieillards méritants. Heureusement, Mimi Lempicka n’a pas attendu le grand âge pour montrer sa liberté créatrice.