Au moment même où le carême entre dans sa dernière ligne droite et touche à sa fin, le site protestant www.réformés.ch met en ligne une vidéo au titre provocateur : Ils font le carême sans foi ! L’occasion en est le succès médiatique, sur la plateforme TikTok, de la promotion du carême, voire un certain engouement des jeunes pour une ascèse propagée sous couvert de ‘carême’ par des influenceurs de talent.
Des interviews mis en ligne dans cette vidéo, il ressort que ces influenceurs et les groupies qui les suivent sont beaucoup plus normatifs que ce qu’exige la discipline catholique (qui ne prévoit que deux jours de jeûne chaque année, le mercredi dit des ‘cendres’ au début du carême, et le vendredi saint, juste avant Pâques, à la fin du carême). Et je ne parle pas de l’Église protestante, en référence à Jean Calvin qui ne voyait dans les ‘efforts de carême’ qu’un succédané des ‘œuvres’ qui ne sauraient conduire à Dieu, puisque la foi seule permet d’accueillir la Grâce. Au jeûne promut par les influenceurs sur TikTok s’ajoutent souvent certaines modérations – pour ne pas dire restrictions – quant au maquillage, à la boisson, aux écrans...
Varient beaucoup les raisons de cet engouement des jeunes pour le jeûne dans tous ses états. Cela va depuis la saine modération favorable à la santé du corps et au bien-être, ressenti jusqu’à l’extase, bien dans la ligne du ‘développement personnel’, jusqu’à la redécouverte d’une certaine spiritualité aux confins du stoïcisme et de l’exploit sportif.
En fait, comme souvent pour la jeunesse, il y a dans cette recrudescence du carême chez les jeunes (un même constat a pu être fait voici un mois par le journal La Croix concernant la fréquentation de la cérémonie des cendres au début du carême) un fort effet d’entraînement. Ce n’est pas un scoop : les jeunes ne s’engagent le plus souvent que collectivement. Cet engouement doit beaucoup aussi à la publicité médiatique accordée au Ramadan. Les jeunes musulmans y sont donc – souvent inconsciemment – pour quelque chose, au point que certains jeunes, lorsque, comme cette année, les dates s’y prêtent, font ‘carême’ en même temps, et de la même manière, que leur copain ou leur copine musulmans qui pratiquent le Ramadan.
Il est vrai que, vu sous l’angle de la morale, la pratique du carême et celle du Ramadan se rapproche dans les trois injonctions : le jeûne, l’aumône et la prière. De ces trois injonctions, les deux dernières sont souvent oubliées. Mais ce qui est encore plus oublié, c’est le sens du carême chrétien : l’inscription du désir dans le corps.
Désir (d’où le jeûne), d’unification de soi-même (d’où la prière), et de la société (d’où l’aumône).
Ce désir est illustré symboliquement par le désert (les quarante jours de Jésus passés au désert), lieu de la faim et de la soif. Ce désir qui s’inscrit dans le corps – c’est peut-être ce que Jean Calvin a un peu oublié - culmine dans la nuit de la passion de Jésus sur la croix le vendredi saint. Inscrit dans le corps du croyant, ce désir ne saurait s’épanouir en espérance que s’il va jusqu’au bout de lui-même, dans l’expérience de la plus parfaite dépendance (la mort) qui débouche sur la gratuité du salut (là, je retrouve Jean Calvin) célébré le jour de Pâques.