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L'Amérique: une fenêtre sur notre avenir?

La notion de «division» est sur toutes les lèvres: au sein de l'Église, dans les débats sur la vaccination, à propos du climat ou des politiques de migration. Dans le numéro actuel de la revue jésuite allemande Stimmen der Zeit, Godehard Brüntrup sj décrit un durcissement des positions des politiciennes et politiciens chrétiens aux États-Unis. Ces nombreux mouvements et tendances nord-américains préfigureraient-ils de l'avenir des pays d'Europe de l'Ouest? Nous dirigeons-nous -nous aussi- vers davantage de division? Pas si sûr. Godehard Brüntrup plaide pour une nouvelle culture de la synodalité, telle qu'elle existait déjà il y a 150 ans dans le «Catéchisme de Baltimore».

Avec la crise du coronavirus, l'océan Atlantique était devenu plus vaste et plus profond. Fouler à nouveau le sol américain après une longue période d'isolement choisi a provoqué en moi un sentiment étrange. Le moment où l'avion touche le sol du Nouveau Monde m'a toujours empli d'un sentiment de libération. On respire autrement, on pense plus généreusement et plus audacieusement de l'autre côté de l'Atlantique. Mais aujourd'hui, même aux États-Unis, l'optimisme pour l'avenir est devenu plus prudent, voire timide. Le danger se profile, la peur flotte dans l'air. On entre dans un pays déchiré, qui se remémore les pages les plus sombres de son histoire. La sensation est palpable, omniprésente.

Leurs plus grandes blessures, les États-Unis se les sont infligées eux-mêmes. La guerre civile, déclenchée par la barbarie de l'esclavage, a coûté au pays plus de victimes que toute autre guerre. Les conséquences de ce conflit sont encore prégnantes aujourd'hui. Celles et ceux qui connaissent les États-Unis en profondeur ont encore le sentiment que deux cœurs battent dans leur poitrine. L'agitation provoquée par Trump l'année dernière à mis en lumière les conflits latents. D'une part, exit les stratégies de résistance non violente inspirées par Gandhi, que l'on connaissait du temps de Martin Luther King: pendant des semaines, les centres-villes sont devenus des zones de non-droit; des incendies ont ravagé des bâtiments gouvernementaux et des commerces de personnes totalement étrangères au conflit. D'autre part, on a observé des milices de droite armées jusqu'aux dents, bien décidées à pénétrer le cœur de la démocratie, le Capitole.

Le sacré n'existe plus. Dans les universités, si l'on écoute les jeunes gens bien protégés et issus de familles bourgeoises, le pays serait tellement corrompu par l'injustice, la discrimination et le racisme que seule la force des armes permettrait de construire un nouvel État plus sain. Mais dans l'autre camp, celui des défenseurs de l'Amérique des pères fondateurs, on ne veut surtout pas démolir les monuments de son glorieux passé. Selon eux, il faut s'armer davantage pour défendre leur «way of life». Avec quarante millions d'armes à feu vendues, 2020 a été une année record et la tendance s'est poursuivie en 2021. Le pays devient une véritable poudrière.

Et l'Église catholique est un reflet de ce conflit. Elle abrite aussi en son sein un camp de combattants de la culture, désireux de créer des lieux de survie reflétant un ordre social révolu depuis longtemps, un idéal traditionnel de la famille et une conception de l'identité sexuelle vécue qui ne correspond pas à la réalité. Ces chrétiens considèrent l'Église comme une ville sur la montagne, aussi éloignée du monde que le phare l'est du navire dans une mer agitée. Ce groupe est plus fort et plus puissant qu'en Allemagne. Il considère encore aujourd'hui Benoît XVI comme sa figure de proue spirituelle.
De l'autre côté se trouvent ceux qui veulent voir l'Église comme une force d'inspiration pour la construction d'un nouvel ordre social plus juste, qui laisse complètement derrière lui le racisme systémique. Leur perception de l'Église est semblable à l'image du levain dans la pâte à pain: en se fondant dans le monde, elle l'imprègne alors pleinement. Ce processus affirme, voire exige l'adaptation des positions classiques de la morale à la sensibilité sociale. Ce groupe s'inspire du pape François. La rupture ne s'observe pas seulement au sein de la conférence épiscopale: c'est toute l'Église qui est divisée en deux camps. Et chaque camp crée des alliances avec l'un des deux principaux partis gouvernementaux. Il n'y a plus guère de place à la discussion. Chacun possède sa paroisse appropriée, son prêtre approprié, son cercle d'amis approprié, sa chaîne de télévision appropriée et sa bulle appropriée sur les réseaux sociaux. Chacun vit dans un monde différent.

C'est dans ce contexte qu'il faut interpréter le discours prononcé par le nonce apostolique, l'archevêque Christophe Pierre, devant la dernière assemblée d'automne de la Conférence épiscopale américaine. Il a évoqué la nécessité d'une phase d'écoute attentive au sein de l'Église, et particulièrement de la Conférence épiscopale, afin de surmonter les divisions. Mais cette démarche ne doit pas se résumer à une succession de réunions, car les cercles de l'Enfer de Dante sont pavés de «conférences successives». S'agit-il d'un avertissement subliminal exhortant à ne pas imiter les Allemands qui, à part s'écouter parler, n'ont rien accompli dans leur processus synodal? Mais alors, quelle serait l'alternative? Le schisme? Il faut en discuter.

L'Église américaine est forte d'une tradition de synodes nationaux. Le concile plénier s'est réuni pas moins de treize fois à Baltimore entre 1829 et 1884. Le «Catéchisme de Baltimore» qui en a résulté a marqué des générations de croyants. Au XIXe siècle, l'Église américaine exprimait son identité nationale par ce processus synodal. Les États-Unis ont été et restent une expérience de démocratie sans précédent à bien des égards. L'Église américaine a fait preuve de bien plus de synodalité que beaucoup d'autres. Tout l'enjeu consiste aujourd'hui à renouer avec cette tradition, avec la générosité et toute l'audace que nous apprécions chez nos amis nord-américains.

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