• @ AdobeStock/momius

La vengeance par la pornographie

En juin dernier, le Grand Conseil vaudois a voté une initiative demandant d’inscrire dans le Code pénal le délit connu dans les pays anglo-saxons sous le nom de revenge porn (littéralement la vengeance par la pornographie). L’initiative vise à punir les actes hostile consistant à «diffuser –souvent sur le net– des images de nus ou à caractère sexuel sans le consentement de la personne impliquée».

Puisqu’il s’agissait d’inscrire un délit dans le Code pénal, cette initiative fut renvoyée aux Chambres fédérales. Bien sûr, personne n’a voté contre l’initiative (77 votes favorables, 26 abstentions et zéro opposition). Les élus qui se sont abstenus s’appuyaient sur le fait qu’une telle décision ne relevait pas du Grand Conseil vaudois. Cette situation de consensus (personne n’est contre, même si tout le monde n’est pas pour) pose, à mon avis, au moins deux problèmes moraux, chacun d’eux étant rattaché à l’un des deux mots de l’expression revenge porn.

D’abord vient le problème de la vengeance. Bien qu’elle reste omniprésente parmi les sentiments humains (seuls les fabulistes prêtent aux animaux un tel sentiment –par exemple Alphonse Daudet dans sa courte nouvelle La mule du pape), la vengeance qui déchire le lien social n’a eu de cesse d’être circonscrite, limitée puis, enfin, bannie, par les responsables de l’ordre public ainsi que par tous ceux qui ont souci du bien commun (le bien de chacun par la solidarité de tous). Ce fut d’abord, quelques siècles avant notre ère, la loi du talion («œil pour œil, dent pour dent, boule de neige pour boule de neige») ce que de nombreux jurys populaires, notamment américains, semblent avoir oublié, cherchant à punir au-delà de la réparation des dommages causés. À la loi du talion succédèrent les exigences chrétiennes. En dépit du reflux de ces exigences dans la conscience contemporaine, il en reste quelques traces dans la condamnation du ressentiment par le philosophe Frédéric Nietzsche (que l’on ne peut pas classer d’emblée parmi les chrétiens). Le ressentiment est le sentiment né de l’envie, de la jalousie ou de la haine, qui motive un acte destiné à blesser, plutôt qu’à édifier une communauté humaine.

Outre la vengeance, vient ensuite le problème de la pornographie. La pornographie, chacun le sait, est la mise en scène de ce qui est intime et qui, selon les normes de la morale régnante, est «indécent» (n’est pas congruent –ne convient pas– au milieu social) et doit rester caché. Ce qui fait que la pornographie est relative aux temps et aux lieux, comme en témoignent les réflexes très différents provoqués par le dévoilement. Spontanément, on cache de ses mains là le sexe, dans d’autres groupes sociaux les seins, dans certains endroits les yeux.) Même les auteurs contemporains les plus provocateurs gardent inconsciemment un reste de pudeur –cette antidote de la pornographie– montrant leur héros plus souvent à table ou lit plutôt qu’assis sur une lunette de cabinets.

La pornographie n’est d’ailleurs pas circonscrite à certaines parties du corps. Les sentiments amoureux ou même l’extériorisation de la piété religieuse (la pornographie dévote) peuvent, ici ou là, provoquer la même répulsion que le dévoilement du corps. Concernant le revenge porn, le point crucial est que ce dévoilement est fait sans le consentement de l’intéressé(e).

Je n’épiloguerai pas autour de la question de savoir comment l’auteur du délit a pu se procurer les images pornographiques qu’il diffuse pour assouvir sa vengeance; ni sur la difficulté qu’il y a parfois à distinguer les images consenties de celles qui ne le sont pas. Le Conseil des États est prêt à introduire dans le Code pénal l'infraction de pornodivulgation (traduction officielle de revenge porn? Pas sûr, puisque l’étalement de son intimité peut fort bien cacher une simple provocation à vocation publicitaire, et souvent même la manifestation de son égo). Mi-juin 2022, le Conseil national ne s’était pas encore prononcé sur l’opportunité de cette introduction. Le Conseil fédéral n’y est pas prêt, trouvant le concept incertain, et désirant l’introduire par la bande dans le délit de cyberharcèlement.

Quels que soient les textes pénaux à venir, le principal travail restera celui de la jurisprudence, les juges devant discerner les indices qui reflétent le désir de vengeance. Éradiquer ce désir sera un travail de Sisyphe qu’aucune loi humaine, aussi nécessaire soit-elle, ne saurait achever.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

Newsletter

Das Magazin „Jesuiten“ erscheint mit Ausgaben für Deutschland, Österreich und die Schweiz. Bitte wählen Sie Ihre Region aus:

×
- ×