La réforme de l’orthographe, une réforme bien venue

Mi-mars 2023, en Suisse, contre l’avis de la majorité du Grand Conseil vaudois qui aurait préféré différer la réforme de l’orthographe, le Conseil d'État vaudois acte le changement. C’est du bon sens. Non seulement parce qu’il place le canton de Vaud dans le courant des cantons latins, conformément au souhait exprimé par la Conférence latine des directeurs de l’instruction publique, mais surtout parce qu’il facilite l’apprentissage et la pratique du français. Cette facilité n’est pas un luxe au moment où notre culture est dominée par l’audiovisuel.

La facilité n’est-elle pas contre-productive dans l’éducation?

Les éducateurs, les psychologues scolaires, autant que les parents (parfois plus que les parents) s’inquiètent aujourd’hui de la ‘facilité’ qui prépare mal les enfants au monde souvent dur qu’ils auront à affronter. Jadis, le maître-mot de l’éducation était le ‘goût de l’effort’, auquel la tradition des mouvements de jeunesse catholiques ou laïques ajoutait un second objectif le ‘sens du gratuit’ sans lequel le respect des autres et de soi-même n’a pas de sens.

À cet argument qui dénonce la ‘facilité’ que l’orthographe rectifiée favorise, je réponds que l’effort n’est pas un but en soi. Si l’effort n’a pas de sens, il ne provoquera qu’abandon de soi-même et dégénérescence, qu’il s’agisse d’effort physique pour se maintenir en bonne santé, d’effort intellectuel pour développer son cerveau, ou d’effort moral pour expérimenter l’altérité sans laquelle il n’y a pas de relation humaine possible.

D’où ma seconde question: quel sens peut avoir l’effort nécessaire pour l’apprentissage de l’orthographe? Les professeurs répondent généralement avec quelque banalité concernant l’orthographe bizarre de certains mots qui seraient la trace d’une étymologie utile à connaître. Par ailleurs l’orthographe permet de distinguer des mots qui, prononcés oralement prêtent à confusion. Par exemple, un hall d’entrée ‘de plain-pied’ ne désigne pas un pied rempli de je ne sais quoi (ce qui s’écrirait de plein pied) mais une surface plane (d’où le ‘a’ de plain, comme dans plat ou dans plaine). Malheureusement, nombreuses sont les subtilités orthographiques qui viennent d’une rectification fautive de l’étymologie. Dans La recherche…, Marcel Proust développe un long chapitre sur la base de ces étymologies fallacieuses.

Quant aux formes grammaticales inassimilables tellement elle ajoute peu à la clarté de la phrase, leur seule justification serait une plus grande clarté de l’expression. Mais c’est loin d’être le cas, bien au contraire dans le contexte culturel d’aujourd’hui. J’eusse aimé que les traditionalistes de la langue le sussent.

Parmi tous les arguments en faveur de la réforme de l’orthographe, le plus faible me semble être qu’elle ne toucherait que 0,4% des mots. C’est oublier que parmi la multitude de mots français, seul un tout petit nombre est utilisé couramment. Ce qui fait que la proportion est sans aucun doute beaucoup plus forte. Je ne parle pas non plus de l’agrément du ‘Conseil supérieur de la langue française’, dont la position fut validée par l’Académie française. C’est l’argument clérical par excellence, argument teinté de mépris pour le ‘vulgaire’ au nom d’un savoir possédé par une ‘élite’ (au sens propre du terme puisque les Académiciens sont élus… par cooptation).

En revanche...

L’argument le plus fort en faveur de la réforme consiste à dénoncer l’arbitraire de certaines pratique orthographique, arbitraire imposé par l’école et validé quasi unanimement par les élites autoproclamées, tout particulièrement par les recruteurs.

Une lettre de motivation contenant des fautes d’orthographe est immédiatement disqualifiée. Je n’ai pas besoin de chercher loin pour découvrir la raison de cet ostracisme presque universellement répandu. Cette raison est la ‘distinction’, phénomène qui permet sans effort de se valoriser à ses propres yeux, au nom de la participation à une élite orthographique. En plagiant la chanson, j’entonnerais volontiers le refrain: «Élite, élite, quand tu nous tiens…Élite, élite, tu nous tiens bien.» Je proposerais volontiers à l’Académie de supprimer le mot ‘élite’ du dictionnaire; mais je gage que cela ne suffirait pas à supprimer cette posture discrétionnaire.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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