«La Pentecôte» de Jean Restout pour méditer

Contempler une œuvre d'art et profiter de son rayonnement pour méditer, la proposition séduit de nombreux laïcs. Licencié en histoire de l'art, le Père Fuglistaller accompagne, une fois par mois à Genève, ceux qui souhaitent cheminer en méditant sur une œuvre classique ou contemporaine répondant aux interrogations de notre temps. «Un tableau est comme une fenêtre ouvrant sur l'univers d'un artiste. Par son œuvre, l'auteur nous donne accès à sa perception du monde. Dans la tradition des Exercices spirituels, la personne qui prie est invitée à regarder Dieu regardant le monde et voulant le sauver. Le but de cet exercice est de mieux connaître Dieu, pour mieux l'aimer et le suivre. Regarder pour agir...»

Il propose en ce mois de mai de méditer avec une peinture de Jean Restout: «La Pentecôte», une huile sur toile datant de 1732, exposée à Paris, au Musée du Louvre.

Jean Restout (1692-1768)

Jean Restout n’est pas un peintre très connu. Mais il fait partie d’une dynastie de peintre des XVIIe et XVIIIe siècles…
L’essentiel de sa production consiste en des toiles religieuses, genre auquel le prédestinait son tempérament proche des jansénistes, comme on peut le voir ici.
Le jansénisme est un courant de pensée qui s’est développé dans la continuité du concile de Trente (1545-1563). Le concile affirme à la fois la réalité de la liberté humaine et la nécessité de la grâce pour le salut de l’être humain, mais sans définir l’articulation entre liberté et grâce. Ainsi certains théologiens mettent l’accent sur l’importance de la liberté et d’autres sur celle de la grâce. Les jansénistes insistent sur l’importance de la grâce et le rôle très secondaire de la liberté, au point d’être accusés de la nier.

Histoire d'une œuvre

Cet immense tableau (long de 7,78 m et haut de 4,65 m) a été peint pour le réfectoire de l'abbaye de Saint-Denis. Il donne un effet de surnaturel par la lumière qui émane du ciel et la vue de la scène en contre-plongée, les personnages sont touchés par la grâce, d’autres semblent effrayés.
Le haut de la toile où figurait la colombe du Saint Esprit a disparu.

Quelques pistes pour regarder «La Pentecôte»

Nous sommes ici au cœur d’une architecture monumentale. Est-ce une église? un temple païen? Cette ambiguïté même donne une connotation janséniste. Peu importe le lieu, du moment que c’est Dieu qui œuvre…

Au cœur de la scène, Marie, reconnaissable aux couleurs de ses habits, debout sur ce qui semble être un autel, ou un promontoire, entourée d’hommes et de femmes d’âges différents, de statuts sociaux différents (mariée portant le voile, servante avec un fichu), peut-être de cultures différentes. Plusieurs sont tournés vers le ciel, ou plutôt la source lumineuse du tableau. Certains sont comme surpris de ce qu’ils voient, d’autres en prière dans des postures très mouvementées.

Au pied de cet «autel» des hommes de différents âges, de différentes cultures (homme au turban).

Tous sont comme foudroyés par ces «météorites» qui tombent du ciel sur chacun d’eux. Là encore aucune place pour la liberté, le don de l’Esprit terrasse littéralement les personnes présentes.

Sommes-nous participants de cette scène? Pas vraiment, les marches, bien qu’enjambées par les hommes du premier plan, marquent une différence d’avec notre espace. De même que les blocs de pierre qui ferment l’espace à gauche et à droite. Dans cette ligne, il est intéressant de noter qu’aucun personnage ne regarde en direction des spectateurs. Personne, en quelque sorte, ne nous invite à «entrer» dans cette scène, cette entrée ne semble pas relever d’un choix de notre part.

Tout le tableau met une formidable verticalité en scène. Ce poids du ciel et de ses dons est manifesté par toutes ces jambes fléchies. Seule Marie semble en mesure de porter ce poids sans difficulté.

La force du ciel affaiblit les couleurs qui deviennent presque uniformément jaunâtres. Une fois encore seule Marie échappe à cette aplatissement pigmentaire avec les hommes les plus proches des spectateurs que nous sommes; eux portent du vert, du rouge et du bleu. Mais du point de vue des couleurs Marie est la seule à véritablement exister…

Auteur:

Né en 1963, entré chez les jésuites en 1990, Le Père Fuglistaller collabore à l'Atelier œcuménique de théologie (AOT) et au département de la formation de l’Église catholique à Genève. Il est chargé par les jésuites de faire connaître et d’enseigner les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola à Genève. Il a été membre du comité de rédaction de la revue choisir. Depuis 2021, il est consulteur (conseiller du provincial) de la Province d'Europe centrale.

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