Père jésuite Zoltán Koronkai © Magyar Kurir

La Hongrie est si proche de l’Ukraine...

Le pape François effectuera, du 28 au 30 avril 2023 en Hongrie, son 41e voyage hors d’Italie. «La Hongrie est proche de l’Ukraine, et c’est l’une des raisons de ce voyage», souligne le jésuite hongrois Zoltán Koronkai, directeur d’un centre intellectuel à Budapest, des propos receuillis par l’agence de presse spécialiste du Vatican I.Media, relatés par cath-info.

Assistant du provincial des jésuites en Hongrie, le Père Koronkai revient sur l’histoire de l’Église hongroise, opprimée sous le régime communiste, sur ses relations avec l’État, et sur les similitudes de positions du pape François et du gouvernement hongrois sur le conflit russo-ukrainien.

Au cours de son voyage, le pontife rencontrera les 52 jésuites du pays, œuvrant au sein d’écoles catholiques, d’établissements d’enseignement supérieur, de paroisses, et de centres d’exercices spirituels.

Qu’attendez-vous de ce voyage ?

J’espère surtout que le pape François pourra s’exprimer sur son message central qui est la miséricorde, l’amour inconditionnel de Dieu, et la paix. La Hongrie est proche de l’Ukraine, et c’est l’une des raisons de ce voyage, qui sera l’occasion d’appeler toutes les parties à la paix. J’espère que le pape pourra donner des paroles de paix également aux Hongrois, car comme en beaucoup d’endroits il y a des tensions politiques dans le pays, et un message de réconciliation serait bon.

Le pape François est-il bien compris par les catholiques hongrois ?

Il y a diverses positions. Les personnes cultivées, qui lisent les journaux, qui lisent ce que le pape écrit, l’apprécient. Il existe également des personnes critiques envers lui, spécialement à cause de la question de l’immigration – qui divise aussi les prêtres. Je crois que la plus grande partie de ces critiques ne comprennent pas ce pape, ils le voient comme un Argentin, venu du fond de l’Amérique latine, éloigné de nos réalités.

On peut noter aussi que la rhétorique des médias a été critique mais que cela a changé depuis le Congrès eucharistique [événement que le pape François a conclu à Budapest, en septembre 2021, ndlr]. Les journaux libéraux, comme socialistes, ont une perception du pape assez positive. Chacun essaie de trouver un soutien en lui, pour son propre agenda. Par exemple si on prend son encyclique «Fratelli tutti», chacun peut y trouver son compte. Certaines parties comme les critiques du libéralisme et du globalisme peuvent être citées comme un soutien pour les nations, pour la culture locale; d’autres parties, comme les critiques du populisme, peuvent être utilisées par l’opposition.

Depuis le déclenchement de l’invasion russe en Ukraine, François évite de désigner nominativement une partie ou l’autre du conflit. Cette position commune avec la Hongrie peut-elle aussi expliquer ce voyage ?

Le gouvernement hongrois, comme le pape, voient la complexité de la situation, et refusent de s’aligner sur une vision qui donne à l’Ukraine toutes les raisons et aux Russes tous les torts. Tous deux appellent à arrêter la guerre et à commencer à négocier. Et contrairement à la Pologne par exemple, la Hongrie soutient fortement l’Ukraine par une aide humanitaire – nous avons accueilli un million d’Ukrainiens au début du conflit –, mais pas militaire.

Le nationalisme ukrainien est devenu plus fort ces dernières années et cela fait peur pour les minorités hongroises, que notre gouvernement cherche à défendre.

Les tensions avec l’Ukraine sur cette question sont aussi historiques. Depuis 2014, l’Ukraine a promulgué des lois qui limitent les droits des minorités. Ces législations ont pour but de créer une nation unie, et d’arrêter les Russes, mais cela touche aussi les Hongrois car il y a en Transcarpatie [ouest de l’Ukraine, ndlr] une minorité hongroise significative. Or l’utilisation de la langue hongroise devient plus difficile dans les écoles et les lieux publics. Le nationalisme ukrainien est devenu plus fort ces dernières années et cela fait peur pour les minorités hongroises, que notre gouvernement cherche à défendre.

Le pape François a souvent exprimé son affection pour le peuple ukrainien. Notre gouvernement, bien qu’il aide beaucoup le peuple ukrainien, ne se sent pas proche du gouvernement ukrainien et utilise une rhétorique plutôt critique alors qu’envers le gouvernement russe, il est beaucoup plus prudent.

Par ailleurs, la Hongrie a de nombreux rapports avec la Russie. Nous sommes très dépendants du pétrole et du gaz russes. Il peut sembler que les Hongrois sont des traitres, qu’ils ont des alliances avec Moscou, mais en réalité nous n’avons pas beaucoup de marge de manœuvre.

L’Église en Hongrie était sortie divisée et affaiblie de la période communiste. Comment a-t-elle rebondi ?

Si l’on remonte avant le temps du communisme, avant la deuxième Guerre mondiale, il y avait en Hongrie un catholicisme très vivant, avec de nombreux religieux et prêtres. L’Église était forte. Puis a commencé la période de la persécution, où même le cardinal József Mindszenty [qui fut archevêque de Esztergom et primat de Hongrie, ndlr] a été arrêté, mis en prison, torturé, avec de nombreux prêtres. Seuls quelques religieux ont obtenu un permis très limité de continuer leurs œuvres. Nous, les jésuites, sommes devenus «illégaux». Nos jeunes ont fui du pays et ont terminé leurs études dans d’autres parties du monde. Ceux qui sont restés ont été incarcérés. 64 jésuites ont été condamnés, cumulant à eux tous plus de mille ans de prison.

A la fin du communisme, la situation s’est améliorée. Beaucoup ont pu rentrer au pays, et nous avons pu recommencer notre vie religieuse. Durant ces années, l’Église a représenté une opposition au communisme dans un premier temps. Dans un second temps, une nouvelle génération d’évêques a initié une politique de négociations, de compromis. Cela a conduit à l’accord de 1964 entre le régime communiste et le Vatican. Cet accord a permis d’un côté d’avoir à nouveau des évêques dans le pays mais il a aussi permis que l’État renforce son influence et son contrôle sur l’Église. Sous certains aspects, celle-ci est devenue une vassale de l’État. Pratiquement, tous les évêques et prêtres d’un certain niveau hiérarchique ont été soit des hommes de l’État, soit des collaborateurs. Et après la chute du communisme [1991, ndlr], il n’y a pas eu de véritable conversion. Certes, les martyrs ont été reconnus, leur histoire rendue publique, mais toute la structure du clergé est restée en poste, et personne n’a reconnu d’erreurs ou de compromissions.

Avec la fin du régime cependant, il y a eu une renaissance de l’Église au début des années 90. Les églises se sont remplies de gens qui avaient auparavant peur d’y aller, et il y a eu un renouveau de vocations religieuses et sacerdotales. Quand j’ai commencé le séminaire en 1996, nous étions 17 dans notre année – aujourd’hui on compte un ou deux séminaristes par an.

La sécularisation présente surtout parmi les jeunes

Dans les années 2000, les églises sont devenues moins fréquentées et on constate une sécularisation, surtout parmi les jeunes. Le christianisme est resté présent dans la parole publique – depuis 2010 nous avons un gouvernement de type «démocrate-chrétien», qui soutient l’Église.

La pratique religieuse a baissé et dans la campagne, notamment, elle est mourante.

L’athéisme, largement majoritaire en République tchèque, plus marginal en Pologne, est-il un phénomène important en Hongrie ?

Il n’est pas si fort. Certes, l’athéisme était la pensée officielle du communisme. Dans certaines parties de l’éducation, de la culture, il y a eu une grande sécularisation. Mais l’athéisme agressif a pris fin avec l’effondrement du régime communiste. Il n’est plus significatif aujourd’hui en Hongrie. Il n’y a que peu de personnes qui soutiennent une idéologie athée véhémente. Aujourd’hui, c’est plutôt l’athéisme pratique qui est caractéristique: la vie comme s’il n’y avait pas de Dieu. L’impuissance du bien-être matériel et l’absence de sens spirituel.

Et au contraire, il y a des groupes qui brandissent le catholicisme de façon identitaire, ce que le pape François dénonce…

Ce n’est pas tout noir ni tout blanc. De nombreux politiciens hongrois, même dans l’opposition, se déclarent chrétiens, et certains ont étudié la théologie. On ne peut les réduire à des personnes superficielles ou enfermées dans un christianisme idéologique. Je crois que beaucoup sont sincèrement chrétiens et sont entrés en politique sur la base des valeurs chrétiennes. Mais dans tous les partis politiques, il y a un mélange d’intérêts et de personnes. La majorité actuelle offre une vraie politique familiale, critique envers le gender et soutenant ouvertement l’Église. Certains aspects en revanche sont critiquables du point de vue de l’orientation sociale de l’Église, comme le manque de principe de subsidiarité, y compris envers l’Église. Je pense que notre gouvernement n’est pas parfait, il a divers problèmes, mais il me semble toujours meilleur que le gouvernement précédent et que l’opposition actuelle. (cath.ch/imedia/ak/be)

Programme du voyage du pape en Hongrie

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