Thomas Reese, un jésuite américain, le 2 juillet dernier, comparait la vitalité du pape François (huitante sept ans) à la sénilité du Président Joe Biden (huitante et un ans). Il en voulait pour preuve la contre-performance de l’actuel Président américain dans son débat avec son prédécesseur et challenger Donald Trump. Il mettait en regard la clarté d’esprit dont a récemment fait preuve le pape François lors de son récent interview sur CBS News. L’auteur terminait son propos d’une manière désabusée : «L’argent et les célébrités des médias dirigent le pays sans aucun contrôle. Il est temps d’inverser cette tendance en redonnant du pouvoir aux professionnels de la politique.» (A lire ici )
Je suis pleinement d’accord avec la première partie de la phrase touchant le rôle des médias dans la politique, mais en complet désaccord avec la seconde quant aux ‘professionnels’ de la politique. Car la politique est trop importante pour la laisser aux politiciens, surtout s’ils sont politiciens de profession. Comme le soulignait déjà le philosophe théologien Thomas d’Aquin au XIIIe siècle, la question politique relève de la justice légale (les devoir de chacun envers son pays), de la justice sociale –et pas simplement de la justice distributive qui désigne ce que la collectivité publique doit à chacun de ses membres–, enfin de la justice civile, bref, de ces justices qui dépendent de l’appréciation de tous les citoyens, et pas simplement des professionnels de la politique.
Cette position d’experts en politique supposés surplomber les miasmes de la vie économique et sociale ne peut que faire le lit des populismes.
De sa comparaison des deux vieillards, le pape et le Président américain, l’auteur tirait deux leçons. La première, qui n’a rien d’un scoop, est que la sagesse ne rime pas toujours avec l’âge. On le sait depuis longtemps. Car si l’âge permet d’accumuler les expériences –notamment celles de l’échec qui est, bien réfléchi, la meilleure des expériences– elle réduit en contrepartie la clarté et la vivacité d’esprit jusqu’à interdire souvent la conscience de sa propre débilité. Du coup, le vieillard sans en avoir conscience, radote ou dit des bêtises, souvent avec une forte conviction qui transparaît dans le ton agressif qui ne supporte aucune contradiction.
La seconde leçon était, de loin, la plus intéressante. Thomas Reese faisait remarquer qu’il manquait au Président américain l’entourage qui aurait pu le convaincre de ne pas briguer un second mandat. En cela il remarquait que le Président Richard Nixon avait commis la même erreur lors de l’affaire du Watergate, alors que ses conseillers lui recommandaient de démissionner – ce qui l’aurait mis dans une meilleure posture politique.
J’épingle le fait que Richard Nixon n’avait rien d’un vieillard sénile, pas davantage l’actuel Président de la République française Emmanuel Macron. Au moment de dissoudre l'Assemblée nationale, le jeune Président français se trouvait dans une conjoncture –certes défavorable pour lui– mais qui n’exigeait cependant aucune précipitation. Les élections européennes ne portaient pas directement sur la politique intérieure de la France. De plus, la proximité immédiate des Jeux Olympiques exigeait au contraire la stabilité des institutions –notamment celles qui relèvent de la sécurité publique, le ministère de l’Intérieur, le Premier Ministre. A quoi s’ajoute le fait que plusieurs lois importantes en discussion (sur la fin de vie, sur le chômage, sur la Défense nationale…) sont, du fait de la dissolution de l’Assemblée, renvoyées aux calendes grecques, au moment même où la France a un urgent besoin de réformes.
Le paradoxe est que le Président annonçait, en cas de défaite de son parti, une sorte de guerre civile qui ne pouvait qu'ensanglanter les rues françaises. Croyait-il vraiment à une résurrection de son parti, et utilisait-il en mauvais tacticien l’argument électoral usé jusqu’à la corde: «C’est moi ou le chaos!» Je n’ose pas suggérer que le Président compte sur le chaos pour justifier l’usage de l’article 16 de la Constitution française qui lui donnerait, pour une période limitée, les pleins pouvoirs. Ce serait machiavélique, et peu digne d’un homme politique responsable. Ce serait possible. Mais je ne crois pas que le jeune Emmanuel Macron, écolier dans une école jésuite, se soit imprégné suffisamment de casuistique pour élaborer et mettre en œuvre un tel scénario catastrophique.