• Repas de l'Aïd Ul-Fitr © Wikimedia Commons

Jours chômés pour Fêtes religieuses

Vendredi 21 avril dernier, les ‘jeunes Verts suisses’ ont souhaité aux musulmans une bonne fête de l’Aïd-el-Fitr, cette célébration religieuse qui marque la fin du ramadan. Je n’ai rien à redire à ce qu’un(e) politicien(ne) ou qu’un mouvement politique tienne compte d’une fête religieuse (on a bien vu en France le socialiste très laïque Lionnel Jospin, une kippa sur la tête, s’associant à une fête juive). En revanche, j’épingle les commentaires des jeunes Verts suisses qui ont accompagné leurs vœux. Des commentaires qui sont certes rationnels, mais guère raisonnables. «Il est inacceptable, disent-ils, qu’en 2023, la vie quotidienne en Suisse soit encore régie par l’Église chrétienne. Il est temps de mettre en place un système de jours fériés flexibles qui permette une société plus inclusive.»

L’argument est rationnel. L’État laïque ni ses agents (je ne parle pas du personnel politique ni des partis) n’a pas à cautionner des fêtes religieuses. Et à ce titre l’État n’a pas à calquer les jours fériés sur un almanach religieux. C’est un principe d’égalité qui veut que l’État ne doit privilégier aucun culte. Fidèles à ce principe, les jeunes Verts suisses peuvent légitimement penser que fixer un jour férié le 26 décembre, ou encore le lendemain de la fête chrétienne de Pâque, heurte le sentiment des musulmans, des bouddhistes, ou des orthodoxes.

Aussi rationnelle soit-elle au nom de l’égalité formelle, une telle pensée reste cependant assez méprisante pour ces minorités religieuses, comme si les musulmans, les bouddhistes ou les orthodoxes devaient nécessairement être choqués des traces que l’histoire a inscrit dans le calendrier ou le paysage géographique et culturel helvétique. Seul l’État islamique a voulu faire disparaître, explosifs aidant, les statues monumentales de Bouddha qui témoignaient d’un passé depuis longtemps étrangers à la population locale.

Si l’argument des Verts suisses est rationnel, il n’est pas raisonnable. Non pas à cause des difficultés pratiques d’imposer aux administrations et aux entreprises des jours fériés dépendants arbitrairement des uns, ou des autres, selon leur conviction religieuse (chacun peut s’inventer une religion qui exigerait les jours chômés de son choix); pas même parce que la majorité des résidents en Suisse se réfèrerait à la tradition chrétienne (le système majoritaire, ici comme ailleurs, peut fort bien opprimer une minorité, ce qui est contraire à l’esprit démocratique).

L’argument des jeunes Verts suisses n’est pas raisonnable parce qu’il ne correspond pas à la société d’aujourd’hui;

il retarde de plus d’un siècle sur notre culture dominante. Si Beijing, Bangkok ou Islamabad célèbrent Noël, cela n’a rien à voir avec «une vie quotidienne régie par l’Église chrétienne» qu’ils ignorent (autant que la plupart des européens d’ailleurs), c’est tout simplement parce que cette fête a perdu le caractère religieux qui lui a donné naissance et qu’elle est devenue un bien commun universel.

Inversement si Halloween, où le cardinal Lustiger voyait une manifestation anti-chrétienne, s’est universellement répandue dans nos pays réputés ‘chrétiens’, cela n’est pas non plus le fruit d’une vie civile régie par l’Église chrétienne. La raison en est tout simplement que:

le sens de la fête qui nourrit le commerce, chez nous comme partout ailleurs, transcende l’occasion religieuse qui en est le prétexte.

J’ajoute que les jeunes Verts suisse, comme beaucoup de partis politiques en Europe, caressent dans le sens du poil les musulmans, cela se comprend fort bien pour des raisons électorales. En fait, cette question des fêtes dites ‘chrétiennes’ touche le terrain de la laïcité. Une certaine interprétation de la laïcité confond État laïque (il l’est) et société laïque (elle ne l’est pas: chacun, aux termes de l’article 17 de la Déclaration universelle des droits humain, ONU 1948, a le droit de manifester publiquement ses convictions religieuses). Cette confusion entre l’État laïque et la société laïque – les musulmans le découvrent assez vite – ignore, même si elle ne procède pas du mépris, tout sentiment religieux. D’où le sentiment plus ou moins ressenti d’un dénie de méconnaissance de ce qui fait l’identité vécue du croyant; comme si les minutes de silence imposées devant les monuments aux morts et les sonneries de clairon remplaçaient l’expérience existentielle d’une transcendance vécue dans les rites religieux.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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