• © PxHere

Irresponsabilité écologique et sociale

Voici trois semaines, je participai à une Université d’été Laudato Si’ sur les décisions écologiques complexes (la croissance de l’économie carbonée dans l’écologique Allemagne, le développement continu de l’énergie pétrolière et gazière la plus polluante issue des schistes bitumeux, le détournement des richesses terrestres vers le gaspillage militaire, l’assèchement des aquifères, etc.). Dans le débat qui suivit mon intervention sur les relations entre complexité (le fait qu’existent plusieurs logiques dans toute situation réelle) et responsabilité individuelle, un contradicteur m’opposa ce principe provocateur: «Nous n’avons aucune responsabilité envers les générations futures!» Je lui demandai de s’expliquer. «La raison en est simple, dit-il: les générations futures n’existent pas!» Je répliquai: «Elles n’existent pas encore!»

Il argumenta: «Je reprends l’argument tout à fait valable de ceux qui défendent avec  raison le droit à l’avortement». Il cita alors la défense avancée par le journal Le Temps de Genève sur son site du 19 mai 2022: «L’interruption volontaire de grossesse peut se dérouler en Suisse jusqu'à la douzième semaine de grossesse après les dernières menstruations, autrement dit l’embryon a dix semaines au plus, et il s'agit bien d'un embryon, non d'un fœtus (à partir de trois mois) et a fortiori non d'un enfant.» Je lui opposai l’argument de l’être humain potentiel. Il répliqua par le constat souvent avancé par le philosophe Michel Onfray: «Un être en puissance n’est pas un être réel», ajoutant qu’on ne peut pas mourir –ni donc être assassiné– si on n'est pas né; les générations futures ne peuvent donc subir aucun dommage, parce qu’elles n’existent pas! CQFD.

Je voyais très bien le piège. Les générations futures n’étant que des êtres potentiels qui ne vivent que dans notre pensée par notre imagination, ce ne sont pas des êtres réels; ils ne sauraient donc avoirs de droits sur nous. La génération présente n’a donc aucune obligation envers eux. Ce piège, d’ailleurs, s’ouvre sous les pas des tenants de la Deep Ecology (écologie profonde) qui pensent que l’être humain étant le principal responsable de la destruction biologique de la planète, et qu’il conviendrait donc, pour la survie de Gaïa la Terre, de diminuer radicalement le nombre d’humains, voire d’éradiquer totalement ce parasite qui détruit la biosphère. Mais l’on peut facilement piéger ainsi la Deep Ecology: pourquoi aurions-nous davantage d’obligations envers les plantes et les animaux futurs qui n’existent pas plus réellement que les êtres humains de demain?

Je rétorque alors à mon contradicteur: «Vous voulez un suicide collectif» – «Pas du tout, me répondit-il. Je n’oblige personne à se suicider, pas même à suspendre la lutte pour l’écologie. Chacun est libre de suivre –ou non– mon exemple.» Ceux qui attendent un enfant apprécieront ce genre de raison, tout autant que ceux qui pensent que nous avons une responsabilité collective envers les générations à venir.

Toutes ces dérives viennent d’une seule source: on a voulu objectiver l’être humain réduit à ses limites biologiques, comme on a voulu objectiver la nature, en le réduisant à ce qu’en analyse les géologues et les physiciens. Face à un tel matérialisme, il ne restait plus au positivisme juridique que de placer l’onction du législateur sur cette idéologie libérale qui défend avec acharnement le pré carré de la liberté individuelle contre toute idée d’humanité solidaire, irréductible à la science positive. Margareth Thatcher l’avait déjà dit: la société n’existe pas puisque, disait-elle, elle ne rencontrait que des individus!

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

Newsletter

Das Magazin „Jesuiten“ erscheint mit Ausgaben für Deutschland, Österreich und die Schweiz. Bitte wählen Sie Ihre Region aus:

×
- ×