• Marty Flanagan, patron d'Invesco, estime que «ce n’est pas le rôle d’un gestionnaire de fonds de prendre parti pour la finance durable.» © Invesco

Il reprend un slogan cher aux managers

De passage en Suisse mi-novembre, le directeur général d’Invesco, société internationale de gestion financière, dont un bureau est situé à Genève, un autre à Zurich, outre quelques conseils apaisants, a repris un slogan cher aux managers: «Ce n’est pas le rôle d’un gestionnaire de fonds de prendre parti pour la finance durable».

Avant de s’indigner, il convient d’essayer de comprendre cette position technocratique partagée par de nombreux dirigeants d’entreprise. À l’époque où il n’était pas encore question de problèmes écologiques et de durabilité de notre système économique, mais où les enjeux sociaux du système de marché avançaient vers le devant de la scène, un PDG américain avait frappé les imaginations, à la limite du scandale, en assénant que le seul rôle social d’une entreprise était de faire des profits.

Jugements cyniques, insupportables, diraient les moralistes. Les moralistes ont sans doute raison; mais ils ont peut-être tort. En cherchant –comme le veut le présupposé des Exercices spirituels de Loyola– à «sauver la proposition du prochain», je découvre que les chefs d’entreprises mis ici sur la sellette ne font que se couler dans l’idéologie où baignait la science du XIXe siècle. À la suite de toute l’économie classique qui domine le rationalisme moderne depuis le XVIIe siècle, ils font de l’organisation rationnelle du monde et de la société la condition du mieux-être de chacun. «Ouvrir une école, c’est fermer une prison», disait-on. Traduite dans le monde des affaires, la formule devient: à la science d’organiser la maison (c’est le sens premier du mot économie), à la morale et à la politique, ensuite, de répartir avec justice ce que la plus grande productivité a permis d’accumuler.

Rationnel mais pas raisonnable

Aussi rationnel soit-il, ce raisonnement n’est pas raisonnable. Je veux dire qu’il est complètement faux. Car la manière dont on produit non seulement conditionne, mais préformate –c’est à dire détermine les grandes lignes de– la répartition. Dans la situation nouvelle actuelle où l’environnement est une question de bien-être –et pour certaines populations, de vie ou de mort– le principe d’action posé par le directeur général d’Invesco appelle le même jugement: ce principe qui consiste à poser que «Ce n’est pas le rôle d’un gestionnaire de fonds de prendre parti pour la finance durable» est rationnel du point de vue de la logique économique, mais faux du point de vue humain. La logique financière fait certes –par méthode– abstraction de tout ce qui n’est pas la probabilité d’un revenu futur; mais le financier, lui, et son client pas davantage, n’est une abstraction.

Je n’évoquerai pas ici les difficultés que présente la notion et la ‘finance durable’ et plus encore sa pratique. Mais la responsabilité propre du financier ou du conseiller de clientèle est ici engagée. À partir du moment où ils ne gèrent pas leur propre patrimoine, mais celui d’un autre agent, ils n’ont certes pas à imposer leurs convictions écologiques ou sociales à l’insu de leurs mandants, mais ils ont le devoir de les informer des enjeux possibles des types d’investissement qu’ils pratiquent.

Cela les conduira à accepter ou à signaler que toute sélection sur un critère qui n’est pas exclusivement financier peut avoir des conséquences négatives sur le rendement, de la même façon qu’ils savent que tout espérance de gain supérieur implique des risques plus grands. Mais ce genre de questions n’est qu’un cas particulier des questions que doit se poser tout gestionnaire et tout investisseur: la performance financière, oui, mais pour qui? pour quand? avec quels risques? et qui en paiera le prix monétaire, écologique et social ?

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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