Chacun peut le constater sans phrase, journaux, magazines et revues sont de moins en moins nombreux. Lorsque, dans les années huitante, j’arrivai en Suisse, Genève comptait quatre quotidiens. Dans la France voisine, le journal qui tirait le plus après la guerre, France-Soir – plus d’un million d’exemplaires vendus – venait de disparaître. Et je ne parle pas des revues, guirlande de clignotants qui apparaissent brièvement la nuit avant de s’éteindre. Brièveté toute relative cependant si j’en crois la revue choisir qui a vécu plus de soixante années.
L’une des raisons de ce déclin des journaux, magazines et revue est, dit-on, la concurrence des médias en ligne. Mais pas seulement. Il faut regarder de plus près. Car la qualité n’y est pas. Comme le fait remarquer Marie-Pierre Genecand dans une chronique du Temps: «C’est un fait, les gens ne sont plus prêts à payer pour s’informer. Ou alors juste la redevance SSR imposée à chaque foyer.» La journaliste impute ce fait au manque de curiosité pour «des contenus fouillés et personnalisés».
Je souscrits pleinement à ce diagnostic. Je le déplore d’autant plus qu’il traduit un état dangereux de notre culture. Plus on en reste aux événements bruts, repris par tous les médias dans les mêmes formules sorties des prompteurs des agences de presse, moins agit la distance critique qui permet d’assimiler l’information, de la rendre capable de nourrir une vision du monde personnelle.
Les sociologues craignent avec quelques raisons que ce phénomène de masse affaiblisse l’intelligence des situations et favorise toutes sortes de populismes extrêmes, d’idéologies naïves, de technocratie totalitaires et de superstition.
Tellement il est vrai que plus la foule grandit en nombre, plus s’abaisse le niveau intellectuel nécessaire pour l’émouvoir. C’est à la source de toutes les manipulations de masse.
Pour une tout autre raison, j’épingle ce phénomène. «Payer pour s’informer», il faut élargir le propos. Il ne s’agit pas simplement d’argent à verser pour entretenir économiquement les vecteurs médiatiques. (C’est déjà un problème intéressant de savoir qui paie les infrastructures et les journalistes ; car journalistes et chroniqueurs ne peuvent jamais échapper, nolens-volens, à la tendance de couvrir d’un préjugé favorable l’instance, publique, consulaire, associative, ou privée, dont dépend son pain quotidien.)
Payer pour s’informer désigne non seulement l’argent à sortir pour payer son journal mais aussi –et plus encore– l’effort personnel à faire pour faire sien(ne) l’information fournie.
Le contenu véhiculé par le média serait-il «fouillé et personnalisé», comme l’écrit Marie-Pierre Genecand, il glissera à la surface du lecteur, de l’auditeur ou du spectateur, et ne sera pas assimilé si n’est accompli un effort particulier d’accommodation, c’est-à-dire d’attitude accueillante de l’événement présenté. Ce n’est qu’à ce prix-là que l’information sera nourrissante. De même qu’aucun pays ne s’est développé sur le travail d’autrui, qu’aucun écolier ou étudiant n'a progressé intellectuellement sur le travail d’autrui, aucun lecteur, auditeur ou spectateur ne s’informe sans avoir payé de sa personne.