Les fidèles se plaignent avec juste raison de leurs curés ou de leurs pasteurs. Le plus souvent, la critique porte, du côté catholique sur le sermon, désormais nommé homélie. Car il s’agit moins de morale à pratiquer –je l’espère, mais ce n’est pas gagné– que d’une ‘Bonne Nouvelle’ à énoncer. Du côté protestant une semblable plainte porte sur la prédication. Car, comme pour tout prédicat, il s’agit de caractériser l’acte de la parole de Dieu en l’inscrivant dans le présent des fidèles. L’importance de cette parole explique la longueur des prédications protestantes (généralement autours de vingt minutes), en contraste avec la brièveté des homélies catholiques («pas plus de huit minutes», indique le pape François).
Une récente évaluation chronométrée dans les églises catholiques du canton de Fribourg donne une durée moyenne de sept minutes et quarante seconde. «Un professeur d’homilétique (rhétorique dans le domaine religieux) pendant plus de 25 ans à l’Université de Fribourg, François-Xavier Amherdt a coutume de citer un witz: ‘Quelles sont les trois qualités principales d’une bonne homélie? Il faut qu’elle soit: 1) courte; 2) brève; 3) pas longue’.» (Journal La liberté du 23 juin 2024)
J’épingle cette insistance sur la durée; car elle détourne l’attention de l’essentiel! Chacun a pu faire cette expérience:
Certains sermons sont déjà trop longs dès la fin de la première phrase!
Certes, Socrate reconnaissait que le rhéteur Gorgias pratiquait la ‘bréviloquence’ qui est l’art de dire beaucoup de choses en peu de mots. Mais la brièveté manque le point central. Car elle repose sur l’idée fausse selon laquelle l’attention ne dépend que de la durée. Les prédications protestantes, quoique beaucoup plus longues que les homélies catholiques, s’écoutent généralement assez bien. La raison en est que les prédicants ont quelque chose à dire qu’ils ont eux-mêmes expérimentée. Ils ne tombent pas souvent dans le défaut que leur reprochaient, non sans généralisation exagérée, Kierkegaard au milieu du XIXe siècle: être des cuistres marguilliers qui étalent leur science au lieu de se soumettre aux besoins spirituels des fidèles.
L’Église catholique du canton de Fribourg a créé des ateliers d’élocution, annonce le journal susnommé. C’est bien; mais un peu tard; et, aussi utile soit cette initiative, elle ne répond pas au cœur du problème. Elle ne fait d’ailleurs que suivre l’exemple de l’Église protestante de Genève qui, voici une dizaine d’année, avait ouvert pour les pasteurs un séminaire, non pas d’éloquence sacrée (nous ne sommes plus au XVIIe siècle) mais de rhétorique, cet art de persuader par la parole. Le point central, le voici:
La rhétorique et toutes les techniques d’expression propres à l’oralité ne sauraient remplacer la bonne posture en ce domaine, posture qui ne dépend pas de la longueur du propos.
L’attitude convenable s’applique autant aux prêtres qu’aux pasteurs; elle est résumée dans les trois mots énoncés lors de l’ordination des diacres dans la liturgie catholique. En remettant à l’impétrant le livre des Écritures, l’évêque prononce la formule rituelle:
«Efforcez-vous de croire ce que vous lirez, d’enseignez ce que vous aurez cru (et non pas ce que vous aurez lu, ce n’est pas un rabâchage qui ne peut conduire qu’à une attitude pharisienne) et de pratiquer ce que vous aurez enseigné.»
Les fidèles ont besoin de témoins d’une parole vérace venue de celui ou de celle qui la pratique pour son propre compte, et non pas de perroquets bavards qui cherchent à persuader une opinion par les techniques de communication.