François, un homme nouveau

Le 266e pape de l’Église romaine est un homme nouveau, puisqu’il vient du Nouveau Monde. Jorge Mario Bergoglio est né le 17 décembre 1936 à Buenos Aires en Argentine. Or quand, en 1516, un explorateur espagnol découvrait le Rio de la Plata où s’élèvera plus tard la capitale de l’Argentine, l’immense continent vient à peine de recevoir son nom d’Amerigo Vespucci en 1507. Ni la Bible, ni l’Antiquité gréco-romaine ne connaissaient cette terre. Elle fut aussitôt missionnée du Nord au Sud par des religieux franciscains et dominicains pour former la plus grande communauté catholique du monde. Mais il a fallu attendre le XXIe siècle pour qu’un de ses natifs prenne place sur le siège de Pierre. 

Jorge Mario Bergoglio, arrive à point, car il correspond à notre époque. Son père a quitté l’Italie en 1929 pour s’établir en Argentine, pas étonnant donc que son fils soit sensible à la question de l’immigration puisqu’il en est un produit. Il a d’abord étudié dans son pays puis au Chili et en Allemagne, la chimie, la philosophie, la théologie, il parle ainsi plusieurs langues et connaît différentes cultures.

Il a traversé des situations contrastées. Son pays était un des plus riches du monde dans les années 1950, puis il connut une déconfiture économique. La société argentine était très inégalitaire, dominée par une oligarchie de grands propriétaires, des paysans et des ouvriers misérables et une classe moyenne qui perdait peu à peu ses privilèges. Cette tension se reflétait dans des gouvernements ultralibéraux appuyés par la force militaire et des mouvements populistes ou communistes révolutionnaires. Ces divisions traversaient également l’Église, une majorité d’évêques soutenant le régime dictatorial alors qu’une importante partie du clergé se tournait vers la Théologie de la libération. Ce clivage retrouvait également dans la Province des jésuites argentins. Nommé Provincial le 31 juillet 1973, âgé de trente-six ans, le Père Bergoglio voyait certains de ses membres être incarcérés par le régime, alors que d’autres s’efforçaient de le soutenir. Lui-même était un homme très proche du peuple, par ses origines modestes et sa vie dans un quartier d’immigrés mais il ne se sentait à l’aise ni dans l’appui de l’épiscopat au régime Videla, ni dans la théologie de la libération. Il appartenait à un courant plus pragmatique qui s’appelait la théologie du peuple.

Il parvint à sauver des confrères de la prison sans donner de gages au régime, en évitant à la fois la scission de la Province et la répression du régime. Cela attira l’attention de l’archevêque de Buenos Aires qui le proposa comme évêque auxiliaire. Il devint lui-même archevêque le 28 février 1998.

Il y imposa tout de suite un style nouveau. Il refusa de loger dans le palais épiscopal, mais prit un petit appartement à côté de la cathédrale. Une attitude qu’il imposa aussi après son élection au siège de Rome en ne logeant pas au Vatican mais dans la pension Ste Marthe. Il ne s’agit pas chez lui de démagogie mais du fait qu’il se sent bien au contact des gens et n’aime ni le faste ni le décorum. Les gros souliers noirs qu’il porte sous sa blanche soutane en sont un autre exemple.

Ce que j’aime particulièrement chez lui, c’est son sourire. Quand il est face à des gens, surtout des enfants et des familles, il rayonne. Il aime le contact, cela n’a pas toujours été le cas de ses prédécesseurs. Il se sent à l’aise en groupe, quand il rencontre des confrères lors de voyages, ou dans l’avion avec des journalistes. Il aime la spontanéité, ce qui provoque des sueurs froides chez certains des membres de son escorte.

Ce n’est pas un hasard s’il a choisi le nom de François, le poverello d’Assise, l’ami des petites gens, proche de la nature et des animaux. C’était aussi le nom de François de Xavier, le compagnon de saint Ignace, qui voyait dans leur petite société une compagnie d’amour. De là aussi, sa détestation du cléricalisme, des prélats qui se retirent dans leur tour d’ivoire et se hissent sur un piédestal au-dessus du peuple. De là également sa volonté de réforme de la Curie, son désir de mettre en marche l’Église sur le chemin de la synodalité, c’est-à-dire de la rencontre avec l’étranger, de la mise en commun fraternelle. Elle guide son ouverture œcuménique : rencontres avec le patriarche Bartholomée de Constantinople, le recteur de l’Université al-Azhar du Caire, ou bien encore le patriarche de Moscou Cyrille – même si celui-ci, après le déclanchement de la guerre contre l’Ukraine, lui récite les justifications du gouvernement russe. Il trouve d’ailleurs consternant qu’un patriarche se fasse le porte-parole d’un dictateur.

Il n’aime pas les gens qui rompent la fraternité. Il s’est montré sévère envers les cercles intégristes qui utilisent l’autorisation des messes en latin pour mettre en cause le Concile Vatican II et son travail de rénovation. Et il restreint leurs dispenses. Il souhaite une Église qui s’ouvre au monde, qui annonce la Bonne nouvelle, qui aille aux marges, à la rencontre des oubliés. Il voit l’Église comme un service, une infirmerie de guerre, qui s’engage pour guérir et soigner.  

Lors d’une rencontre avec des confrères d’Amérique latine, il évoque Le Cri de la vie : « Vous allez commettre des fautes, vous allez marcher sur les pieds des autres. Cela peut arriver. Peut-être allez-vous recevoir une lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi dans laquelle il sera dit que vous avez affirmé ceci ou cela. Ne vous faites pas de soucis. Expliquez ce que vous avez à expliquer, mais continuez. Ouvrez les portes. Faites quelque chose là où s’entend le cri de la vie. Je préfère une Église qui commet des erreurs parce qu’elle fait quelque chose qu’une Église qui devient malade à force de tourner autour d’elle-même. »

Oui, écoutons, le pape François!

Auteur:

Né en 1941, entré chez les jésuites en 1961, spécialiste de l’Histoire de l’Église, était engagé comme directeur spirituel au Séminaire diocésain du Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg et au Séminaire diocésain de Sion. Le Père Fellay a été rédacteur en chef de la revue culturelle choisir, directeur du centre interdiocésain à Fribourg, professeur à l'Institut Philanthropos et responsable du programme de formation du domaine de Notre-Dame de la Route à Villars-sur-Glâne.

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