Pape: «L’Église est pour tous, pas que pour certains»

Le 13 mars 2013, l’Argentin Jorge Mario Bergoglio est élu sur le trône de Pierre: il est alors le premier pape latino-américain, le premier pape jésuite et le premier pape à porter le nom de François. À l’occasion du dixième anniversaire de son pontificat, François a accordé un entretien à la Télévision Suisse italienne (RSI). Cath.ch en propose de larges des extraits. Reflets.

RSI: Saint-Père, au cours de ces dix années, qu’est-ce qui a changé?
Pape François:
Je suis vieux. J’ai moins d’endurance physique. La blessure au genou a été une humiliation physique, même si maintenant elle guérit bien.

Beaucoup vous décrivent comme le pape des petits. Le ressentez-vous comme tel?
Il est vrai que j’ai une préférence pour les laissés-pour-compte, mais cela ne veut pas dire que je rejette les autres. Les pauvres sont les préférés de Jésus. Mais Jésus ne renvoie pas les riches.

Jésus demande d’inviter n’importe qui à sa table. Qu’est-ce que cela signifie?
Cela signifie que personne n’est exclu. Quand ceux qui étaient à la fête ne venaient pas, il disait: «Allez aux carrefours et appelez tout le monde, les malades, les bons et les mauvais, les petits et les grands, les riches et les pauvres, tout le monde». Nous ne devons pas oublier ceci: l’Église n’est pas une maison pour certains, elle n’est pas sélective. Le peuple saint et fidèle de Dieu, c’est cela: tout le monde.

Pourquoi certaines personnes se sentent-elles exclues de l’Église en raison de leur condition de vie?
Le péché est toujours là. Il y a des hommes d’Église, des femmes d’Église, qui font la distance. Et c’est un peu la vanité du monde, se sentir plus juste que les autres, mais ce n’est pas juste. Nous sommes tous pécheurs. À l’heure de la vérité, mettez votre vérité sur la table et vous verrez que vous êtes un pécheur.

Comment imaginez-vous l’heure de vérité, la vie après la mort?
Je ne peux pas l’imaginer. Je ne sais pas ce qu’elle sera. Je demande seulement à la Sainte Vierge d’être avec moi.

Pourquoi avez-vous choisi de vivre à Sainte-Marthe?
Deux jours après l’élection, je suis allé prendre possession du Palais apostolique. Il n’est pas très luxueux. Il est bien fait, mais il est énorme. J’ai eu l’impression d’un entonnoir renversé. Psychologiquement, je ne peux pas tolérer cela. Par hasard, je suis passé devant la chambre où j’habite et j’ai dit: «Je vais rester ici». C’est un hôtel où vivent quarante personnes qui travaillent à la curie. Et les gens viennent de partout.

Y a-t-il des choses qui vous manquent dans votre vie d’avant?
Marcher, aller dans la rue. Je marchais beaucoup. Je prenais le métro, le bus, toujours avec des gens.

Que pensez-vous de l’Europe?
En ce moment, il y a tellement de politiciens, de chefs de gouvernement ou de jeunes ministres. Je leur dis toujours: parlez entre vous. Celui-là est de gauche, toi tu es de droite, mais vous êtes tous les deux jeunes, alors parlez! C’est le moment de dialoguer entre jeunes.

Qu’est-ce qu’un pape qui vient presque du bout du monde peut apporter?
Cela me rappelle une phrase de la philosophe argentine Amelia Podetti: la réalité se voit mieux des extrémités que du centre. De loin, on comprend l’universalité. C’est un principe social, philosophique et politique.

Quel souvenir gardez-vous de ces mois de confinement, de votre prière seul sur la place Saint-Pierre?
Il pleuvait et il n’y avait personne. J’ai senti que le Seigneur était là. Le Seigneur voulait nous faire comprendre la tragédie, la solitude, l’obscurité, le fléau.

Il y a beaucoup des guerres dans le monde. Pourquoi est-il si difficile d’en comprendre la gravité?
En un peu plus de cent ans, il y a eu trois guerres mondiales: 14-18, 39-45, et celle-ci qui est une guerre mondiale. Elle a commencé par bribes et aujourd’hui personne ne peut dire qu’elle n’est pas mondiale. Les grandes puissances sont toutes impliquées. Le champ de bataille est l’Ukraine et tout le monde s’y bat. Cela me fait penser à l’industrie de l’armement. Un technicien m’a dit un fois: si on ne produisait pas d’armes pendant un an, le problème de la faim dans le monde serait résolu. Mais c’est un marché. On fait des guerres, on vend de vieilles armes, on en teste de nouvelles.

Quelles sont les autres guerres qui vous semblent les plus proches?
Le conflit au Yémen, la Syrie, les pauvres Rohingyas du Myanmar, etc. Pourquoi toute cette souffrance? Toutes les guerres font mal. Il n’y a pas d’Esprit de Dieu. Je ne crois pas aux guerres saintes.

Vous critiquez souvent des bavardages. Pourquoi?
Les ragots détruisent la coexistence, ils cassent la famille. C’est une maladie cachée. C’est un fléau.

Comment se sont passées les dix années avec Benoît XVI à Mater Ecclesiae?
Bien, c’était un homme de Dieu, je l’aimais beaucoup. La dernière fois que je l’ai vu, c’était à Noël. Il pouvait à peine parler. Il parlait très doucement, tout bas, tout bas. Il fallait traduire ses paroles. Mais il était lucide et posait des questions: comment ça va? Et avec ce problème-là? Il était au courant de tout. C’était un plaisir de parler avec lui. Je lui demandais souvent son avis. Il me le  donnait, toujours équilibré, positif. Un homme sage. La dernière fois, cependant, on pouvait voir qu’il était sur la fin.

Ses funérailles ont été sobres. Pourquoi?
Les cérémoniaires se sont «cassés la tête» pour préparer les funérailles d’un pape non régnant. Il était difficile de faire la différence. Maintenant, je leur ai demandé d’étudier la cérémonie pour les funérailles des futurs papes, et de tous les papes. Ils étudient et simplifient un peu les choses, en supprimant ce qui ne va pas du point de vue liturgique.

Le pape Benoît XVI a ouvert la voie à la démission. Vous avez dit que c’était une possibilité mais que vous ne l’envisagiez pas pour le moment. Qu’est-ce qui pourrait vous amener à démissionner à l’avenir?
Une fatigue qui ne permet pas de voir les choses clairement. Un manque de clarté, de savoir comment évaluer les situations. Un problème physique aussi, peut-être. Je me renseigne toujours à ce sujet et je demande conseil – «Comment vois-tu les choses? Il te semble que je devrais…» – à des gens qui me connaissent, et aussi à quelques cardinaux intelligents. Et ils me disent la vérité: «continue, ça va bien, mais s’il te plaît: crie à temps!»

Quand vous saluez quelqu’un, vous lui demandez toujours de prier pour vous. Pourquoi?
Je suis sûr que tout le monde prie. Aux non-croyants, je dis: priez pour moi et si vous ne priez pas, envoyez-moi de bonnes ondes. Un ami athée m’écrit : …et je t’envoie de bonnes ondes. C’est une façon païenne de prier, mais c’est une façon d’aimer. Et aimer l’autre, c’est déjà une prière. (cath.ch/catt/gr)

Par Paolo Rodari, RSI, traduction et adaptation Grégory Roth, cath.ch

 

Lien vers l’intégralité de l’interview en italien : ICI

Lien vers des extraits de l’interview avec sous-titre en français : ICI

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